Jean Jacques L.
La bombe au père Lampion
Pan-pan-pan, pan-pan-pan, pan-pan-pan ! Des années 1945 à 1957, la rue Basse-Perrière résonnait de ce rythme ternaire simple, sans cesse répété et qui était un fond sonore continu facile à retenir. C’était le cordonnier Ailrau dit Lampion qui battait la semelle sans cesse et sans relâche. À l’époque il n’y avait pas de télévision. Le spectacle de l’artisan courbé sur le cuir humide retenait l’attention des gosses dont j’étais. Il y avait toujours devant sa fenêtre 4 ou 5 jeunes têtes...
Lire plusLa bique au bouc
J’avais 14 ans et j’étais bon marcheur. Dans la ferme des voisins il y avait une chèvre, Zézette, dont j’étais l’ami et le compagnon. Muni d’une forte chaîne d’une douzaine de mètres, j’accompagnais Zézette le long des haies dont elle était friande. C’était une compagnie, une amie parfois têtue au sens propre du mot. Quelle joie de la voir grappiller, de l’entendre broyer une pomme avec d’incroyables bruits masticatoires. De cette entente on finit par me confier une...
Lire plusLe Trou de la lune
Courson-les-Carrières n’était pas le seul pays des carrières. Le banc devait s’étaler sur une dizaine de kilomètres. Nombre de petits villages avaient leur carrière souterraine entourée de légendes et de superstitions. Nous allions souvent au hameau du Suchois, perché sur une colline d’où l’on voyait Vezelay. On y montait par un chemin large et caillouteux, nécessaire aux paires de bœufs qui descendaient les blocs jusqu’à la nationale. C’était toujours une joie de monter au Suchois, où nous...
Lire plusLa Quille Bon dieu !
Du bleu-bite récemment débarqué à l’ancien cuit de soleil, ne cessait de monter une injonction désespérée, vaine et imaginée en un lointain espoir : « la Quille Bon dieu ! ». Elle hantait les dortoirs, secouait les salles de séjour, montait de l’ascèse ténébreuse des chiottes : « la Quille Bon dieu ! » La Quille était, paraît-il, le nom du bateau qui ramenait – rarement – les forçats chez eux, une fois accomplies la peine et ses éventuelles prolongations. La Quille, c’était la joie, la...
Lire plus« Bolmont est un con »
Edmond et Jules de Goncourt n’ont pas laissé une œuvre qui foisonne dans les bibliothèques. Ils ont en revanche institué un prix qui est, je pense, le seul événement littéraire qui atteint quelque peu la France profonde. La grande majorité du pays cultivé n’achète rien, sauf le Goncourt, qu’une fraction difficile à estimer lit peut-être jusqu’au bout. Dans le camp d’entraînement où comme tout le monde j’apprenais à tuer des gens, la Littérature était bien éloignée du Goncourt ou...
Lire plusLe Coffre du désert
Mon adjudant-chef, quand sa dose de pastis pur faisait le vide dans son esprit, devenait inquiet et même tremblant. Nous étions au régime du « prêt franc » qui confiait à chaque soldat une somme d’argent assez importante pour subvenir à la réserve du fusil, au chameau (qui était en fait un dromadaire) et à quelques outils et vêtements déterminés. Inutile de dire que tout s’usait jusqu’à la corde. La nourriture était gratuite, et certains économes allaient, bien que rarement, visiter le bordel...
Lire plusLe « Grosse queue » du Colonel
Nous étions la base arrière de la 8ème CSI. La compagnie était à Hassi Messaoud et protégeait les puits de pétrole. Cinq ou six soldats sous la direction d’un adjudant-chef quotidiennement rempli de pastis assuraient toute la paperasserie. Le travail n’était pas écrasant ; j’avais à rédiger un répertoire de toutes les notes, messages et injonctions qui nous parvenaient. Nous étions en 1958 – retour au pouvoir du général De Gaulle, et les ordres et les contre-ordres tombaient dru. L’adjudant-chef...
Lire plusLe Tombeau
Le Sahara, c’est bien des choses. Des montagnes, parfois. Le Hoggar, c’est grand comme l’Espagne. Mais ce sont surtout des dunes, d’immenses champs de dunes qui se complètent parfois, parfois s’affrontent et étirent sous un soleil éclatant la houle infinie de leur monotonie. Nous étions sous la tente, sans constructions en dur et cela posait problème. Dans tout camp militaire il est indispensable d’avoir une prison, une prison avec des murs, des cachots, des barreaux ! Depuis qu’existent des...
Lire plusLa corvée de bois
La corvée de bois était un euphémisme. Elle désignait l’exécution sommaire de prisonniers suspects d’actions dangereuses et nuisibles. Soit qu’ils les aient effectivement pratiquées soit qu’une forme quelconque de torture les aient emmenés à en avouer le projet et l’existence fomentée. Personne n’ignorait le sens du terme, pas même les victimes qui se rassemblaient passivement. Un sous officier, parfois un officier, dirigeait la petite troupe vers les bois qui entouraient le camp. J’aurais...
Lire plusManies Militari
Manies Militari C’était à Ouargla, grosse oasis du Sahara oriental où nos troupes assuraient la sécurité des puits de pétrole d’Hassi Messaoud récemment découverts. L’oasis vivait de ses palmiers dattiers et de son bordel, vénérable institution dont les hauts salaires des travailleurs pétroliers venaient de redorer un blason quelque peu défraîchi au grand dam des pauvres soldats dont j’étais. À 9 heures du matin l’adjudant chef qui me commandait n’avait qu’à peine effleuré sa...
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