La corvée de bois
La corvée de bois était un euphémisme. Elle désignait l’exécution sommaire de prisonniers suspects d’actions dangereuses et nuisibles. Soit qu’ils les aient effectivement pratiquées soit qu’une forme quelconque de torture les aient emmenés à en avouer le projet et l’existence fomentée.
Personne n’ignorait le sens du terme, pas même les victimes qui se rassemblaient passivement.
Un sous officier, parfois un officier, dirigeait la petite troupe vers les bois qui entouraient le camp.
J’aurais hurlé, tenté n’importe quelle hardiesse, n’importe quelle folie !
Là, tout allait calmement, tranquillement.
La veille une fosse pas trop grande avait été creusée, souvent par les futures victimes.
Je n’ai pas assisté aux exécutions.
Ce n’était pas long, pas spectaculaire.
Quelques rafales courtes de pistolet mitrailleur, quelques cris « Allah Akbar ! »
Le plus souvent rien. Des détonations, le silence.
Un jour, au bord de la fosse j’ai remarqué un officier qui, pistolet au poing, suivait quelque chose qui s’y déplaçait lentement. Au fond. Puis un coup de feu incroyablement faible et sec, un coup de grâce sans doute.
On rebouchait le trou sans trop de terre et l’affaire était jouée.
Des corvées de bois, il y en avait partout, tous les jours. C’était une habitude, presque une tradition.
Combien furent elles ? Dans quelles régions et à quelle fréquence ? Elles n’étaient rien d’autres que la conclusion d’une guerre que les uns voulaient pacificatrice et d’autres civile.
Cette terre d’Algérie est grasse de corps humains, grasse de tortures et grasse d’humiliations.
Peut-être aurait-on pu faire mieux, l’Histoire nous l’enseignera. Oh certes, il ne fallait pas bon tomber aux mains du FLN.
Sur les collines les pins ont repris leur mol balancement. Puisse la terre retrouver calmement l’humble pouvoir de la germination
juillet 2014 – Fragments – Jean Jacques L.