Comme un arôme de miel

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21 / 06 / 2022
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Comme un arôme de miel

Une petite boutique à vitrine de bois, soigneusement peinte couleur de printemps ou de demain. 

Là est le marchand d’espoirs avec son enseigne : MARCHAND D’ESPOIRS, complétée, en lettres claires tracées sur la vitre : Espoirs en tous genres, et au dessous : Personnalisations possibles sur demande.

Je m’approchai, collai mon visage contre le verre pour mieux voir l’intérieur qui me paraissait, bien qu’empli de reflets, vide. Vide ! Il était vide ! Quel marchand, fut-il d’espoirs, pouvait-il prétendre tenir commerce en l’absence de la moindre incitation à l’achat ? Peut-être ce marchand venait-il de s’installer ? Mais cette boutique semblait être ici depuis toujours ; et pourquoi ne l’avais-je jamais remarquée alors que j’empruntais chaque jour de la semaine, la rue de l’Envol-vent. Aurais-je refusé l’existence d’espoirs quelconques sous forme de marchandises ?

Le vent se leva, volèrent quelques feuilles d’éphémérides arrachées de leurs blocs. L’une se colla sur la porte du magasin, je m’approchai espérant quelque dessin rigolo, une bonne blague à lire, mais impossible de déchiffrer les caractères pourtant familiers. Je reconnus des A des D, vaguement un H ou un T, instables. Je crus, un instant pouvoir lire : tard ! Je me souvenais de cette phrase d’auteur : «  il est trop tard, il s’est égaré, le moutard, dans Trafalgar-square… », ou de cette autre : «  je n’ai pas besoin de découvrir quelles choses je découvrirai plus tard… » . Non, rien de tout cela ; une simple constatation : « Il est tard ! ». A moins que ce ne soit la légende d’un dessin évoquant un buveur évacué d’un bistrot à coup de pompe dans l’cul… à cause de l’heure aussi avancée que son ébriété… Amante, amant lassé ; trop tard ! Trop tard aussi pour la feuille arrachée rêvant d’un retour en janvier ; tout recommencer !

Avec le vent, la teinte de la vitrine avait changé, elle avait pris la couleur de l’automne.

« Hier, c’était la Saint-Effacement ! ».

Je me retournai, souris à la grande personne derrière moi : une femme dont je ne pouvais discerner précisément les traits. « Je sais ! ». Je ne suis pas vraiment petit, mais c’est ainsi que je me senti auprès d’elle, petit et transparent. « Qu’attends-tu pour entrer ? ».

– Mais… c’est vide, il n’y à rien à voir… pourquoi entrerais-je ? 

Entre !

La porte s’ouvrit, quelques feuilles d’éphéméride, poussées par le vent entrèrent, tourbillonnèrent un moment, puis se posèrent sur le sol ; les mêmes pavés que la rue de l’Envol-vent, humides comme eux… Dans la boutique, était un réverbère avec un homme dans un fauteuil juste en dessous… « Qu’espérez-vous ? » me dit-il, sans même un bonjour.

Bonjour Monsieur !

Comment pouvez-vous en être certain, de ce bonjour que vous m’octroyez sans même savoir si cela m’agréé, ou si je mérite un tel souhait ?

Mais… il s’agit là de simple politesse, sans autre prétention que de vous être agréable !

Hummm ! J’ai cru un instant que vous étiez de ces personnes qui pensent influer l’avenir… bon jour… Vas savoir…

Il m’avait tutoyé, cela me rassura un peu, ce petit vieil-homme sous son réverbère m’impressionnait. Tout chez lui était d’un gris lumineux, clair comme ses yeux… avait-il un chapeau ? Une veste de costume, une cravate ? Du gris, un beau gris de ciel de peintre avec une profondeur de brume ! « Vous pouvez vous asseoir, maintenant. » La main de la grande femme, toujours derrière moi, me désigna une chaise que je n’avais pas remarquée ; pas plus que cette table derrière laquelle l’homme se tenait… Comment n’avais-je pu voir en entrant, que ce réverbère et ces pavés ? L’homme gris sorti d’un tiroir une éphéméride tout ébouriffée où, visiblement, il manquait des feuilles.

Voyez, Monsieur, tous les bons jours qui manquent pour les temps à venir… envolés ces bons jours ! Envolés sans laisser de date ! Impertinents qu’ils sont : partis ailleurs ! Qui sait où ?

Il me vouvoyait à nouveau, pourtant, je n’avais rien dit ; pas un mot, pas un geste qui puisse le froisser…

Mais Monsieur, ce ne sont que des morceaux de papier…

– … et des mots, des phrases. Crois-tu que les mots et les phrases sont inoffensifs ? Et les dessins ? J’ai horreur des dessins !

Pourtant…

Aujourd’hui, c’est la saint Halebarde !

Il avait sorti une pile de journaux et lisait « S’il pleut à la saint Halebarde, des porcs on mangera la barde ! ».

Tu comprends quelque chose, toi ? ».

Re-tutoiement. Je ne savais que dire :

Peut-être que la pluie rend l’herbe grasse et que les porcs…

Les porcs ne mangent pas d’herbe ! De quel signe es-tu ?

Je ne sais pas… je suis né le 8 aout 88.

Le signe de l’infini ! A quelle heure ?

On ma dit que j’étais né au sixième coup de minuit.

Infini ascendant retard ! Tire une feuille au hasard !

Il me désigna d’un index long et sec l’éphéméride ébouriffée.

Evite le premier feuillet, trop d’influence des brises.

Je venais juste de sentir un léger courant d’air ; aurais-je oublié de refermer la porte derrière moi ? « Je vais la refermer ». La grande femme tira la porte. Tira ? Curieusement, je pensais avoir poussé cette porte en entrant… Le vieil homme repris :

Tire !

Je tirai feuillet : l’un de ces échevelés qui dépassait du bloc.

Alors ?

Je regardai, m’attendant à trouver une bonne blague, un dessin, le saint du jour… rien, juste un numéro…

62 !

six et deux huit ! Décidément !

Il reprit sa pile de journaux, chercha, dégagea un exemplaire, me regarda droit dans les yeux. Cela me mit mal à l’aise sans que je sache pourquoi.

Signe de l’infini… voyons ; ascendant retard…

« Ne l’écoutes pas ! », me dit cette femme toujours présente derrière moi. Cela m’agaça quelque peu, aussi lui demandai-je : « Mais qui êtes-vous, enfin ? »

Je suis ton destin…

Mais… vous êtes une femme, si je ne m’abuse ?

Il en va des destins comme des baleines : il y a des baleines mâles et des baleines femelles ; moi, je suis ton destin… d’autres diront « Ta destiné ! ».

Mais ? Alors vous devriez vous tenir devant moi, et non pas derrière… vous me faites craindre… Une voix sèche m’interrompit :

S’il vous plait ! Je lis votre horoscope : « Une belle journée vous attend ! »…

Tant mieux ! Mais comment pouvez-vous affirmer cela à la lecture d’un horoscope aussi fatigué que semblent l’être vos journaux ? Si je peux me permettre ?

Je ne vous permets pas  justement ! Aussi, nous risquons le conflit, Monsieur… Monsieur ?

Il avait reprit le vouvoiement ce qui ne présageait rien de bon.

Monsieur Alatienne (prononcer alassienne), Etienne de mon prénom !

Derrière moi je sentis comme un trouble de ma destin, tandis que l’homme gris me fixant avec intensité : « Vous n’êtes pas le Athanase Delvivo , mort aujourd’hui ?

Et bien non !

Ma destin lâcha un « Merde » sonore, Le bonhomme gris disparu, et je me retrouvai agrippé à un réverbère de la rue de l’Envol-vent, la vitrine avait changé de devise, elle était devenue « Chez Soizic » ; La brise de mer portait en elle comme un parfum de chouchen aux arômes de miel.

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