L’occupation de mon village (3)

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21 / 07 / 2015
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L’occupation de mon village (3)

Pendant l’occupation, le ravitaillement n’est pas facile ; les produits alimentaires, les tissus, les chaussures, le savon…sont contingentés et chaque mois, nous avons la distribution des tickets d’alimentation ; souvent les tickets disparaissent avant ou pendant la distribution (avec, en général, l’accord tacite des responsables). Le Président de la Délégation spéciale reçoit le 29 décembre 1943 deux visiteurs, rendez-vous très confidentiel à la mairie, à la nuit bien noire ; ils seront en civil, sans armes, le classique passe-montagne, naturel pour des cyclistes à cette saison ; vers 19 h, ils arrivent ; le carillon du couloir n’a rien dit, les marches de l’escalier n’ont pas craqué ; salutations, poignées de mains, chargement des titres, c’est rapide ; ils viennent de cisailler les fils téléphoniques du haut d’un poteau à l’entrée du village, puisque les maires doivent immédiatement informer du vol les services du ravitaillement ; ils reprennent leurs vélos cachés dans la cour et les voilà partis, fondus dans la nuit ; que de rencontres possibles, dangereuses, parfois mortelles, Milice, Gestapo ! Mais le maquis avait besoin de ravitaillement !

Le lendemain, un rapport pour le « Ravitaillement Général » partait de la mairie, faux à souhait, avec la demande de ré-envoi des titres disparus. Par trois autres fois il a fallu agir, sans rire, ni se couper dans le récit fantaisiste destiné aux gens du village inquiets pour les responsables capables de tout réinventer avec des variantes. Mais tout ne continua pas à se passer relativement bien, ; en 1944, le drame était dans l’air.

Au lendemain du débarquement, dans l’après-midi du 7 juin, quelques F.T.P.F. (Francs Tireurs et Partisans Français), cachés à Guerchy, circulent dans nos rues, réquisitionnent des vêtements dans notre boutique, vont à la mairie et dans la classe ôter les portraits de Pétain , allument un brasier sur le trottoir et y ajoutent les tableaux de répartition des réquisitions et les voilà partis sous les regards inquiets des gens de la rue.

Le mardi 13, les trois hommes et la femme étaient abattus par les allemands dans leur refuge incendié, après un siège de plusieurs heures ; seules les deux jeunes filles furent épargnées.

Tout n’était pas terminé !

Cet après-midi du 7 juin, vers 21 h, la bonne du Président de la Délégation Spéciale arrive affolée à la mairie : « deux autos allemandes viennent de s ‘arrêter chez lui, l’ont interpellé violemment, bousculé, frappé, puis hissé dans une des voitures allemandes, ils vont le fusiller ! » et elle confie à Monsieur Lottier : « Monsieur a pu me dire que vous regardiez bien dans son tiroir s’il y a quelque chose à détruire » ; rien de compromettant à la mairie !

La Gestapo d ‘Auxerre n ‘a été qu’incomplètement renseignée et le prisonnier put se tirer des interrogatoires dangereux ; il fut relâché au bout de sept semaines, seul à échapper au départ pour Compiègne, antichambre des camps de déportation. Le groupe de résistance d’Auxerre ne fut pas inquiété ; quant au rescapé, il disparut vite du village.

L’heure de la Libération approchait mais il fallut la payer cher ; le 25 juin 1944, 19h30, bourdonnements de moteurs , piqués des avions, signaux par fusées … et puis la fumée noire qui monte sur Auxerre. A cette heure-là, le corps mutilé de l’amie de Madeleine gisait à l’Arbre-Sec, auprès d’une quarantaine de victimes d’un bombardement américain « à haute altitude » .

Le mercredi suivant, c’étaient les obsèques solennelles à la cathédrale ; toutes les victimes n’étaient pas encore retrouvées, certaines ayant été projetées dans l’Yonne. Trente cercueils alignés dans le choeur, cérémonie poignante dans une atmosphère de catastrophe, des autorités administratives ; en chaire, l’archevêque s’adresse aux familles sans dire un mot de ce qu’il ne fallait pas dire. Quand ce fut terminé, les personnalités saluèrent les familles mais à cette interminable cérémonie s’ajouta un moment qui n’a de nom que la cruauté : quatre officiers allemands sont là, en grande tenue, raidis pendant toute la messe, viennent s’incliner à leur tour devant les familles tant meurtries ! Ce n’étaient pas eux qui avaient conduit ces cercueils ici !

Peu de temps après, le 23 août, les Allemands font sauter le camp de Chemilly à 8 km de Fleury, important dépôt de munitions d’artillerie de l’Yonne en 1929 , devenu dépôt d’explosifs ; on redoutait un bombardement aérien ; heureusement le commandant allemand a prévu de ne pas faire tout sauter à la fois. A 11h, première explosion, comme un tonnerre inouï, une déflagration énorme et un immense panache gris dans le ciel ; les détonations se suivent, parfois moins violentes, parfois encore terribles ; c’est un grondement incessant, un bruit confus comparable au passage d’un train qui n’en finirait pas de défiler.

Quand finira ce cauchemar ?

Juillet 2015- Fragments – Marité

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