Le vin de Saint Georges

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11 / 02 / 2015
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LE VIN DE SAINT-GEORGES

ou Premiers souvenirs vinicoles d’un gamin de 10 ans à la fin de la guerre 39/45

C’était en 1947. Mon père, 1m.98, maigre et sec comme un stockfish, reprenait goût à son petit verre de rouge pendant et après le repas. Encore fallait-il trouver le précieux breuvage.

Il avait eu l’adresse d’un vigneron de Saint-Georges, où nous habitions, dans le bout du pays. Le vigneron voulait bien le fournir en vin mais il lui avait recommandé la plus grande discrétion .

Le soir choisi, l’obscurité bien installée, nous voilà partis, mon père et moi, à pied, poussant une brouette, le tonneau à remplir bien calé dessus. Il nous fallait traverser tout le pays, de la mairie jusqu’au carrefour des routes de Villefargeau et de Chevannes, en évitant tout bruit susceptible d’attirer l’attention, pas facile avec une roue cerclée de fer! Nous empruntions le plus possible les bas-côtés herbus. Enfin arrivés, le vigneron nous invite à nous approcher des marches de la cave. Et là mon père devine dans l’ombre, le GARDE-CHAMPÊTRE , affalé sur une chaise,semblant surveiller les allées et venues. Devant son mouvement de recul brutal, le vigneron se met à rire. « N’ayez pas peur! Allez-y, descendez. IL a son compte!» En effet, le képi de travers, un bras pendant, mal reculotté, notre garde-champêtre paraissait bien incapable d’être à la hauteur de sa fonction! Je ne sais même pas s’il s’aperçut de notre présence. Nous remplîmes notre tonneau en toute tranquillité et, plus tard, notre retour fut triomphal. Le tonneau fut mis en perce dans la cuisine du logement de fonction de ma mère, l’institutrice. Robinet en bois, cannelle. Mon père tout joyeux et soulagé tira le premier verre dont il me versa quelques gouttes dans un peu d’eau. Juste récompense à mes yeux.

Toujours à la recherche du précieux nectar, mon père, à la suite du remembrement dans la commune de Brosses, près de Vézelay, pays de mes grands-parents maternels où il avait quelques terres, accepta en lot de compensation 6 rangs de vignes. 6 rangs d’une vigne de mauvais vin, une piquette, dont le propriétaire voulait se défaire. Une vigne de NOAH, un plan qu’on arrachait partout! Cela n’avait pas fait reculer mon père qui, un beau matin de septembre ,avait convié tous les membres de la famille, les cousins de Varzy et de Vézelay, « A VENDANGES ». Il avait récupéré une feuillette dont il avait enlevé le couvercle. Joyeusement, nous la remplîmes tous de notre cueillette de raisins. C’est avec une fourche enfilée au bout d’un balai que fut « éralée « notre récolte de grains juteux. Bref, on attendit la fermentation du Noah!…mais mon père avait prévu sa botte secrète. Devant nos yeux ébahis, et surtout devant une allemande correspondante de mon cousin Gilbert dont le père avait été instituteur à Badan-Baden pendant l’occupation de l’Allemagne par les français, il tira du coffre de sa voiture 40 kilos de sucre cristallisé qu’il déversa dans le produit de la vendange. Il se mit à « touiller « le tout avec soin pendant que la jeune allemande stupéfaite répétait avec son accent teuton:« Fous mettez du sucre dans le Fin! Fous mettez…!» La piquette fit un très bon vin pendant une année. La vigne resta dans la famille pendant 10 ans. A chaque retour de l’automne, toute la famille voulait être invitée à la « vendange du noah ». Jusqu’au jour où nous dûmes arracher les six rangs de ceps… avec regrets.

 lundi 26 janvier 2015 – Fragments – Philippe M.

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