Le Tombeau

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13 / 08 / 2014
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Le Sahara, c’est bien des choses. Des montagnes, parfois. Le Hoggar, c’est grand comme l’Espagne. Mais ce sont surtout des dunes, d’immenses champs de dunes qui se complètent parfois, parfois s’affrontent et étirent sous un soleil éclatant la houle infinie de leur monotonie.

Nous étions sous la tente, sans constructions en dur et cela posait problème. Dans tout camp militaire il est indispensable d’avoir une prison, une prison avec des murs, des cachots, des barreaux !

Depuis qu’existent des troupes Sahariennes, s’est instaurée une tradition, mouvante et vieille comme les dunes et toujours respectée : le Tombeau.

Il en est des grands, et des petits.

Il faut imaginer un trou dans le sable, bordé parfois de fils barbelés avec autour deux ou trois sentinelles, perdues dans la contemplation des têtes rasées émergeant du trou. Les conversations étaient interdites mais non les signes, rivalisant d’obscénité.

Nous étions vers la fin mai. Époque la plus dure, car la grosse chaleur revient et anéantit le corps comme l’esprit.

Nous étions écrasés par cet enfer quand une nouvelle circula parmi nos divers camps retranchés. « une de nos équipes – car malgré les 46, 47 degrés à l’ombre des patrouilles circulaient encore – avait capturé Amirouche.

Ce n’était pas une mince affaire, Amirouche était un grand nom du FLN. Certes pas une personnalité très connue, mais un chef de guerre redoutable et redouté.

On doubla et redoubla les précautions usitées en pareil cas : entièrement nu, les bras et les jambes liés, il fut placé au fond du tombeau et surveillé par deux hommes qui se relayaient et dont je fus. Immobile et muet il me faisait penser à une vipère des sables qui attend sa proie, rigide comme un végétal. Je croisais parfois son regard dur, attentif aux soldats qui l’entouraient.

À quoi pouvait-il penser ? À la torture inévitable qui l’attendait ? aux combats qu’il ne mènerait plus ?

Sa mort était évidente et proche. Sans doute l’envisageait-il avec le calme résigné d’un vieux soldat qui s’y est souvent et sciemment exposé.

Vers six heures vint le moment de la relève. Je repartis torturé de pensées lourdes qui me pénétraient l’esprit et me secouaient le corps. J’attendais un sommeil impossible.

Vers les sept heures, éclatèrent des coups de feu et des gueulements sauvages.

Amirouche s’était évadé. Les gardiens avaient dû relâcher leur pesante attention. Un instant de sommeil, sans doute. Mais comment s’était-il débarrassé de ses liens ?

Tout fut inspecté. On découvrit ensanglantée une lame de rasoir avec laquelle il s’était lentement et patiemment libéré. Bien entendu il avait été fouillé à corps. Il était comme je l’ai dis, complètement nu. Alors d’où venait cette lame ? D’un ancien occupant du tombeau? Qui sait : ils avaient été assez nombreux, car les retours de permission fourmillaient d’avions ratés et de bateaux détournées pour cause de gros temps.

Des patrouilles furent envoyées dans toutes les directions, mais allez donc retrouver un homme seul dans un désert sans fin qui lui est familier ?

On abandonna la pratique du tombeau. Les prises intéressantes devaient être envoyées à Constantine. Mais il n’y en eut guère…

août 2014 – Fragments – Jean Jacques L.

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    Vos souvenirs d’ Algérie non seulement informent ,mais ils sont d’émouvants témoignages d’un temps difficile que taisent ceux qui les ont vécus( j’en juge par mon mari disparu) Vous nous les confiez maintenant que le temps les éloigne de plus en plus mais on sent combien ils sont en vous encore vivants,Merci , cher monsieur Lebret.

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