Le Certif

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01 / 04 / 2014
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Les anciens de ma génération ont tous passé et obtenu le certificat d’études primaires, le C.E.P. On ne quittait pas l’école du village ou de la ville sans posséder ce diplôme qui couronnait nos études et permettait à tous d’entrer dans la vie active ou en apprentissage.

A Fleury, nombreux étaient les élèves qui, sortis de l’école se mettaient aux travaux des champs, dans le jardinage ou le petit commerce de leurs parents ayant besoin de main-d’oeuvre. Avoir son certificat, c’était la preuve qu’on savait lire, écrire, compter, qu’on avait des connaissances en histoire, géographie, sciences et qu’on était prêts à travailler à la ferme, au maraîchage ou au commerce ; les parents avaient leur succession assurée. Pourtant on voyait déjà des « grands diplômés » prendre d’autres directions : devenir facteur, jeune secrétaire, petit employé en comptabilité, commis boucher ou boulanger, parfois ouvrier d’usine. En quittant l’école à quatorze ans, on avait un solide bagage et l’on était fier de gagner quelques sous.

 L’année du certificat, on travaille dur à l’école ; les instituteurs mettent leur point d’honneur à faire réussir tous les élèves, y compris les moins doués ; l’année de mes douze ans, je fais donc partie du lot de ceux qui doivent faire leurs preuves. Dès le mois d’avril, nous avons une bonne heure d’étude supplémentaire après la sortie des classes : trois filles et quatre garçons subissent alors un entraînement intensif en vue de l’examen qu’il faut réussir ; avant de se mettre à l’ouvrage, nous partageons un bon goûter pour refaire nos forces : nos mères ont préparé de vrais petits paniers garnis et à la saison des fraises et des cerises, nous nous régalons des fruits récoltés dans le jardin de l’instituteur ; après quoi, tous au travail ; et composition française, et dictée avec questions sur le sens des mots, grammaire, conjugaison, analyse logique et grammaticale ; ah ! Les participes passés ! La terreur ! Et on enchaîne avec du calcul mental, les deux problèmes où les pièges ne manquent pas ! Vous souvenez-vous des problèmes d’intervalles, des pourcentages, des fractions, des confitures de groseilles et de leur poids restant après toutes les transformations savantes ? ça devient une vraie torture ! Et puis, les dates d’histoire, les fleuves et montagnes de France, les départements ; tout y passe ! Une heure de gymnastique intellectuelle, du vrai bachotage !

 A la mi-juin 1939, je passe mon certificat d’études au chef-lieu de canton : Aillant sur Tholon ; la veille, cérémonie des préparatifs : la tenue du lendemain, les outils indispensables du porte-plume au taille-crayon et les recommandations d’usage de la part des parents : « sois poli, tiens-toi bien, fais attention, relis ta dictée, réfléchis … »et ça n’en finit pas ! On se met en condition ; la consigne finale : «  bien dormir », on s’en doute !

 Tôt le matin, rendez-vous à l’école où nous attendent le maître et le transporteur. En voiture, les candidats ! On ne bronche pas, mais 12km de route dans la campagne aillantaise par un matin ensoleillé de juin, ça ressemble presque à un départ en vacances, une belle aventure !

A l’heure fixée, les candidats réunis dans la cour de l’imposante école du chef-lieu de canton, prêtent attentivement l’oreille aux consignes de l’inspecteur primaire qui, du haut de son perron, fait l’appel solennel des élèves silencieux et plus ou moins stressés. Nous lâchons le maître protecteur pour nous retrouver dans une salle d’examen déserte ; des tables seulement ; aux murs , aucun affichage susceptible de donner quelques idées ou réponses aux candidats ; autour de nous s’installent des visages inconnus et l’examinateur de service qui n’a que faire de nos appréhensions.

Dans la matinée, toutes les épreuves écrites sont terminées : composition française dont j’ai oublié le sujet, une dictée avec les traditionnelles questions, deux problèmes ; pourquoi je me souviens d’eux ? En fait, je me moquais éperdument des clôtures du pré de « monsieur machin », de la longueur du fil de fer nécessaire, du nombre de piquets et de la dépense du propriétaire … Quant au rendement des vaches laitières, des kilos de beurre qui en résultaient, des bénéfices et des pertes ce n’était pas « mon problème » et je me disais que ma mère aurait mieux fait d’être fermière que de vendre des pastilles de menthe. Pour finir, quelques dates d’histoire, le bassin de la Seine à dessiner, fleuve et affluents, principales villes traversées et « sciences » : décrivez un escargot qui se déplace ; je le voyais notre cher escargot de Bourgogne se prélassant sur une belle feuille de salade, cornes en avant !

 Maintenant,nous avons bien mérité un repas au restaurant du coin : le rôti de veau et les petits pois aux lardons satisfont nos estomacs creux et nous sommes bons pour un après-midi beaucoup moins studieux : élèves et correcteurs d’examen sont devenus tout à coup bien guillerets ; les filles attaquent un travail de couture : ourlet piqué, 10 cm, et boutonnière à une bride ; le tout au fil rouge ! Et oui, c’est plus facile de repérer les points mal exécutés ! Les garçons sont au dessin. Puis, tiré au sort, chant ou récitation ; c’est chant ! Quelle cacophonie ! Entre la Marseillaise – obligatoire – et « plantons la vigne » chantés par des garçons dont la voix commence à muer et des filles au ton pointu, il y a de quoi se boucher les oreilles ou rire aux éclats !

En fin d ‘après midi, les résultats sont proclamés ; re-voilà l’inspecteur sur son perron ! Silence troublant ! Et les noms des reçus provoquent des cris de joie, de satisfaction, de soulagement … L’équipe de Fleury triomphe, tous reçus !

 Retour au village en chantant, les langues se délient et le maître nous tient au courant de nos résultats pas toujours glorieux dans certaines matières ; on s’en moque puisque nous n’avons pas fait les cinq fautes éliminatoires !

En arrivant à l’école, les parents, plutôt des mères, nous attendent ; tout juste si la fanfare du pays n’est pas présente pour nous accueillir avec une marseillaise célébrant notre victoire ! Nous sommes félicités, embrassés et le maître encore plus ! Les mères parlent déjà du cadeau qui lui sera offert prochainement et aussi de la distribution des prix qui récompensera les « certifiés » publiquement ; et nous , les gamins, aurons-nous le vélo de grand en récompense de notre travail ?

 Quelques années plus tard, « mon » instituteur m’a raconté avec beaucoup d’humour de nombreuses journées de C.E.P . et toutes les perles qu’il avait glanées dans les copies des candidats y compris dans ma dictée puisque j’avais écrit « déesse » en abrégé : D.S. Pourtant les D.S. n’étaient pas encore nées !

Devenue moi-même institutrice, ce dont il était fier, je le visitais souvent, lui racontais les perles de mes élèves, les difficultés du métier et je n’oubliais jamais de le remercier , lui qui avait pressenti mon avenir professionnel ; quelle reconnaissance je lui dois !

25 mars 2014 – Fragments – Marité G.

 

 

 

 

 

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