NEGMARRON

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07 / 11 / 2012
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Ça avait été facile de leur fausser compagnie. Beaucoup trop facile. Pris d’une soudaine gaieté il en pouffait encore de rire mais en silence, comme un élève le ferait dans le dos de son instituteur. Dans l’aéroport gris, à la sortie du satellite, il avait profité de la foule caquetante et bigarrée pour quitter la file de voyageurs tirant leurs bruyantes valises à roulettes. Il avait obliqué brutalement dans un couloir interdit puis il avait pris l’escalator à contre-sens. Il avait ainsi déjoué toutes les tentatives de récupération. Et ceci malgré la nuée de flics en civil qui infestait le grand hall numéro quatre. Heureusement il avait appris à les reconnaître au premier coup d’œil. A la consigne, il s’était débarrassé du lourd sac en nylon noir qui aurait pu aussi bien contenir un ordinateur portable. Au troisième sous-sol il avait plongé dans la rame de métro verte qui soufflait la treizième note d’accord pour avertir qu’elle allait démarrer. C’était un beau si bémol bien dans la couleur de son blues intérieur. Et le tour était joué.

 Dans l’avion qui l’avait ramené de Nairobi il était passé inaperçu au milieu des passagers à majorité de peau noire. Les costumes traditionnels étaient restés en Afrique et il était bien difficile de distinguer un masaï d’un kikuyu ou d’un kalenjin une fois les colliers multicolores retirés, les toges rouges quittées et le maquillage traditionnel effacé. Seuls les tee-shirts de couleur vive posés sur les jeans révélaient les préférences ethniques. Mais rien ne permettait de distinguer à quelle tribu le porteur appartenait. Une fois en France il allait avoir plus de difficultés à rester incognito avec sa haute taille, son corps mince, sa peau de métisse, ses cheveux courts et crépus. Il fallait qu’il pense à ne pas regarder les gens, à ne pas sourire, à ne pas être reconnu. Sa tenue éveillait la curiosité, mais son costume bleu marine de marque, sa chemise blanche impeccable au col serré d’une cravate de soie rouge et ses chaussures noires vernies forçaient vite au respect et on ne s’intéressait pas longtemps à ce qui pouvait être un homme d’affaires en goguette. Il s’était assis sur le strapontin bleu pétrole non loin de la porte, prêt à bondir à la moindre alerte. Les yeux mi-clos il restait attentif à tout ce qui rentrait et sortait. Mais tout paraissait calme et les gens circulaient avec indifférence, en affichant leur humeur noire de citadins blancs blasés.

 A Montparnasse brusquement il se décida. Entré dans la gare, tête baissée, il prit un billet pour le TGV Atlantique qui était déjà à quai et s’installa au milieu des petits parisiens enfants de bobos, envoyés chez leur grand-mère à Pornichet pour les vacances. Il fut soulagé de voir les parents en bermudas turquoise et mocassins bruns s’esquiver après maintes recommandations sans avoir remarqué spécialement sa présence. Une fois le train lancé il eut tout le loisir de se détendre et de repenser à son itinéraire.

Nantes, oui c’était une bonne idée, peut-être même était-ce la meilleure idée qu’il n’ait jamais eu depuis longtemps. Puis il s’était endormi et avait fait un rêve étrange. Il se retrouvait avec ses ancêtres les negmarrons, ces esclaves qui avaient voulu retrouver leur liberté. Il brandissait un immense drapeau du Kenya à deux mains, le drapeau claquait dans le vent et il hurlait devant une foule. Regardez ce drapeau, le rouge c’est le sang qui a été versé , le vert c’est la couleur de la nature, le noir c’est la couleur de notre peau, le blanc c’est la couleur de la paix! Réveillez-vous! Monsieur, réveillez-vous! Le train est arrivé, il faut descendre! Il avait sursauté. La femme de ménage en blouse rayée bleu et blanc, l’aspirateur à la main s’excusait, elle n’avait pas voulu faire peur à cet homme d’allure si distinguée, mais il fallait bien que son travail se fasse.

Il s’en voulait de s’être laissé aller ainsi en oubliant toute prudence et traversa la gare désertée d’un pas vif après s’être renseigné sur la direction à prendre. Il avait décidé de finir son voyage à pied et longeait le fleuve qui avait perdu de son tumulte pour s’écouler paresseusement autour de l’ile de Nantes. Les mouettes criaient en planant au dessus de lui comme pour lui montrer le chemin. Longeant les quais il ralentit l’allure lorsqu’il entendit le bruit caractéristique, ce bruit qui l’attirait toujours depuis son enfance. Il longeait une grille derrière laquelle se déroulait une partie de basket. Il n’avait pas pu s’empêcher de pénétrer sur le play-ground. Le ballon avait rebondi sur le cercle dans sa direction et il l’avait capté instinctivement pour immédiatement shooter. La balle avait pénétré sans bruit, faisant juste valser les ficelles ! Les gamins en étaient restés bouche bée et se poussaient du coude. Il ne se fit pas prier lorsqu’on lui demanda de compléter le trois contre trois et tomba la veste. Il touchait avec délice la sphère râpeuse et orange, faisant avec elle un festival de feintes avec des cross-over dont il avait le secret pour terminer par un tir depuis le cercueil, la position qu’il préférait tout au bout du terrain au bord de la raquette. Trois points! A la fin de la partie il fut congratulé par ses coéquipiers à l’unanimité. Tout le monde avait voulu taper dans la main de celui qu’ils avaient surnommé Barak.

 Trempé de sueur il avait renfilé sa veste puis était descendu lentement vers le quai de la Loire. De ce quai était peut-être parti le bateau qui avait embarqué son aïeul il y a cent cinquante ans pour les Antilles dans le simple but de l’échanger contre du sucre et des épices. Il était là, rêvassant, tout en humant l’air de l’océan qui parvenait jusqu’à lui et n’avait pas entendu la voiture bleue au gyrophare éteint qui s’était arrêtée derrière lui. Il ne sursauta pas lorsqu’une main se posa sur son épaule. Bonjour président, il faut nous suivre à présent, sans faire d’histoires.

 Au poste de police, le gros sac de nylon noir trônait sur le bureau du commissaire mais il n’avait manifesté aucune surprise. Non ce sac ne lui appartenait pas, vous pensez bien monsieur le commissaire, je suis en liberté surveillée, je ne vais pas recommencer les conneries, j’ai assez payé pour cela. Dans ce cas la garde à vue allait se prolonger, puis direction la maison d’arrêt, n’est-ce pas président, puisque tu ne veux pas collaborer. C’est quand même dommage de passer le jour de ton anniversaire à l’ombre.

 Maryline était une blonde pulpeuse qui portait une grande robe blanche avec un décolleté généreux. De sa cellule de dégrisement, elle interpella le commissaire . Dites commissaire, pourquoi l’appelez-vous président ce gars là ? Et c’est vraiment son anniversaire ? Maryline, tu vieillis je ne te trouve pas très perspicace, tu n’as pas vu la ressemblance avec l’autre, le président des Etats-Unis ? C’est pour cela que le milieu le surnomme le président! Mais je te conseille de ne pas l’approcher celui-là, c’est un sacré caïd ! Maryline ouvrit de grands yeux puis se mit à chanter. Happy Birthday mister Président, happy birthday to you.

 Épilogue

 Pendant le transfert à la maison d’arrêt, le président avait réussi à se faire la belle. Poursuivi, il avait emprunté une passerelle sur le fleuve, mais l’inspecteur avait sorti son arme et avait tiré après les sommations d’usage. Avant de mourir il avait prononcé quelques mots que personne n’avait compris. Je suis un negmarron, un negmarron…

octobre 2012 – Nouvelles – Didier laurens

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    je t’ai lu et relu. .J’aime bien ton histoire, l’ambiguïté que tu te plais à entretenir chez ce personnage que tu campes bien,et dont je regrette bien que tu le fasses mourir. »je suis un negmarron »:émouvant. Beaucoup de notations de couleurs( consignes d’écriture à respecter , je suppose)Ecris-nous d’autres nouvelles, Didier.

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