Mauvais lapin

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05 / 11 / 2011
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 Consigne : à  partir de vos notes, faites le portrait d’un personnage que vous avez découvert en gare d’Auxerre, en nous racontant son histoire, des anecdotes sur sa vie, à la manière d’une nouvelle, et en le faisant transiter par le Buffet de la gare.

MAUVAIS LAPIN

C’est une femme. Reconnaissable aux bruits de ses escarpins qui martèlent le carrelage douteux. L’homme est toujours plus silencieux, même quand il marche.

Elle entre sans effort dans le hall de la gare. La porte automatique détecte sa présence, et ouvre la voie.

Elle ne prend pas le train, sinon elle aurait immanquablement levé le menton pour consulter le panneau d’affichage, incipit au voyage.

Regard à l’horizontal porté par une tête curieusement émancipée du reste de son corps. Tel un suricate, elle gigote sans cesse du haut. Un cou si souple laisse supposer que sa propriétaire a dû pratiquer la danse dans une tranche de sa vie. Isoler si brillamment la boîte crânienne ne peut découler de la génétique.

Elle cherche quelqu’un, pas quelque chose.

Sa virtuosité articulaire lui garantit un balayage exhaustif de tous les recoins poussiéreux du hall d’entrée. On ne sait jamais, peut-être joue-t- elle à cache- cache ?

Son pas détendu contraste avec brio avec sa tonicité cervicale. Prestation inconcevable pour tout danseur débutant….Aucun doute, c’est une danseuse émérite.

Cette femme a le bel âge, celui de la jeunesse pour tous ceux qui l’ont perdu. Elle est plutôt jolie, et s’est fait belle : 18h23, le rouge à lèvres n’a pas été posé le matin. Seule la publicité garantit une longue tenue aux couleurs du visage.

En toute logique, elle cherche un homme. Elle tire furieusement le rideau du photomaton. Se cacher pour sublimer les retrouvailles…L’homme est joueur, à moins qu’il ne soit juste romantique. Personne. Cachette convenue, indigne d’un séducteur. Elle poursuit sa quête.

Derrière le panneau des tarifs réduits, invitant au voyage jeunes, vieux, chômeurs et familles nombreuses. Comble du romantisme : anoblir le triste panneau en paravent prometteur… Elle y croit, et fait trois le tour de son imagination. Pas une âme passionnée qui vive, seul un paquet de chips consommé use du subterfuge pour se faire tout petit. La peine commence à gangréner sa dignité : elle s’abaisse à la quadrupédie pour farfouiller sous les bancs, tente de déplacer le distributeur de gourmandises lipidiques, sort un juron mal assorti à son rouge à lèvres Chanel.

Dernière chance, dernier espoir : elle est un peu en retard, il doit s’alcooliser dans la brasserie d’à côté pour supporter l’abominable attente. 18 minutes de retard, négligeable selon « Marie-Claire » préconisant à toutes les femmes modernes de se laisser désirer, au pire 20 minutes.

En fin de compte, elle est en avance de 2 minutes.

Il va être à point.

Une rotation furtive de sa tête toujours mobile ajoute de la déception à sa peine. Personne, en tout cas pas lui.

Deux hommes patibulaires s’imbibent de jus de houblon, même les serveurs ont déserté le bar pour s’octroyer leur dose de nicotine. Seul Mickaël Jackson anime le lieu interlope en gesticulant sur écran géant.

C’est donc bien un lapin.

Les computaquaphiles collectionnent les compteurs d’eau, les pissadouphiles, les pots de chambre, et elle, les râteaux.

Elle s’autoproclame ratotophiliste, ça sonne bien.

La prochaine fois cependant, elle se dit qu’elle arrivera à l’heure.

12 avril 2011 – Ludotextes –  Marie Claude Contrault  

 

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