Rêve oublié

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23 / 06 / 2015
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 Rêve oublié

Même à midi, la cuisine restait sombre bien que le soleil pointait le bout de son nez. Charlotte allait avoir besoin d’énergie bienfaisante. Ses grands-parents étaient décédés dans un accident d’avion le 12 avril de cette année, jour pour jour, la date de leur arrivée en France.

Ils lui avaient tant appris, tant donné. Quel doigté, quelle justesse dans l’éducation qu’ils lui avaient prodiguée! Le parfait équilibre entre le cadre dont elle avait eu besoin pour grandir, ses parents étant en voyage la majeure partie de l’année, et le respect de qui elle était.

Allons, Charlotte, reprends-toi tout de suite. Si tu commences à ouvrir la porte à la nostalgie, elle va t’engloutir.

Lorsqu’elle rentrait de l’école, après son goûter, elle se mettait aux devoirs. Mami cuisinait, Papi confectionnait son tapis aux couleurs chaudes. Le moment préféré demeurait celui où elle demandait à Papi de lui “raconter le cinéma” : comment était la salle, la vente de billets, la programmation, la salle de projection ?

Elle en était là de sa plongée en enfance, lorsque la cloche de la grille retentit. Le facteur, un grand sourire sur le visage, lui remit une enveloppe à son nom, chez M et Mme CHANTEREL.

Son coeur battait à tout rompre. Surprise, tremblante, elle ouvrit l’enveloppe et découvrit une carte. C’était une maison, de couleur blanc cassé, aux fenêtres et volets blancs, au toit d’ardoise, flanquée d’une tour carrée, entourée d’un parc qu’elle devinait très boisé. Un petit chemin partant de la plage, empruntant un escalier, permettait d’y accéder. Elle retourna la photo et lut : « tu te souviens ? »

Dans l’instant, les larmes jaillirent. Sa grand-mère avait écrit ces mots.

Elle fut submergée. Des flashs successifs l’éblouirent. Chaque été, ils allaient à St Jean de Luz. Ils adoraient arpenter la plage. Ils stoppaient devant cette villa. Chacun s’amusait à imaginer ce qu’ils feraient s’ils l’habitaient.

Elle passa au salon. Elle ouvrit la porte du buffet. Elle fut à nouveau envahie par l’émotion. Devant elle, bien rangés, deux piles du magazine « Nous deux ». Elle le lisait en cachette. Seule sa grand-mère était dans la confidence. Ses parents n’auraient pas apprécié ces romans photos en noir et blanc, ces histoires d’amour…Ces moments avaient le goût du défendu. Ailleurs, elle était ailleurs, en sureté avec sa grand-mère à ses côtés.

Dans le fond du buffet, son regard fut attiré par un journal coincé entre deux piles d’assiettes  : «le déserteur». La date était ancienne.

Que de temps forts, depuis le matin ; que de pistes à explorer. Elle sentait un fourmillement emplir tout son corps. Elle connaissait cette sensation. Quand elle était encore jeune enfant, Papi s’amusait à lui construire des jeux de piste. A chaque bonne réponse, elle recevait un carré de chocolat.

La journée avait suivi son cours, le soleil commençait à décliner. C’était tellement bon, tellement stimulant de replonger dans ces moments de l’enfance, où elle avait acquis le goût des choses simples et engrangé la sensation du bonheur.

Que de choses à partager. Elle allait pouvoir rassurer Paul qui craignait tant le choc qu’avait représenté, pour elle, la perte brutale de ceux qui l’avaient élevée.

Rassérénée par un copieux petit déjeuner, elle s’apprête à quitter la maison. Auparavant, sachant que cela lui donnera des forces, elle salue ses trois chats, ses deux chiens. Elle fait un détour, dont elle se délecte, par le pré où ses deux chevaux et ses deux poneys viennent la saluer. Ce n’est que de l’amour, des caresses, des accolades.

Le téléphone vibre et son cœur se serre. Elle décroche, les sens en alerte. Au loin la voix d’une femme disant s’appeler Rose Durieu. «Bonjour, vous êtes bien Charlotte CHANTEREL ? Je vous prie de bien vouloir descendre sur St Jean de Luz, aujourd’hui. C’est très urgent. Je suis mandatée par vos grands-parents. Je vous attendrai au Café bleu à 15 heures».

Charlotte n’en croit pas ses oreilles. Elle en parle à Paul et, le temps de se changer, décide de partir. Elle choisit une robe dans laquelle elle se sent bien, et des ballerines. Paul et Charlotte habitent aux environs de Bordeaux, une vieille maison, entourée de prés. Cela leur permet de donner libre cours à l’amour qu’ils portent aux animaux, qu’il recueillent souvent pour les sauver.

Elle embrasse tendrement Paul, part pour la gare de Bordeaux. Le train pour St Jean de Luz est à 9h47. Elle arrivera à 12h22. Cela lui laissera le temps de prendre un encas au bord de la plage, de se poser, de se diriger tranquillement vers ce café bleu.

A 15h, elle est devant le café bleu. Elle est calme. Elle pousse la porte aux vitraux bleus. Dans un coin, abrité du soleil, mais en pleine lumière, une jeune femme l’attend devant une théière.

Charlotte s’approche doucement. Rose se lève, la salue d’un large sourire.

«J’ai une belle histoire à vous raconter.»

Je suis Rose Durieu. Je gérais le patrimoine d’un journaliste. Il écrivait, il y a longtemps, en Afrique du Nord, une sorte de petite gazette. Il a dû malheureusement cesser en raison des évènements et de sa venue en France, d’autant que le titre de celle-ci «le déserteur», ne pouvait que lui attirer des ennuis. Avant de quitter leur pays, une amitié solide avait réuni cet homme et votre grand-père. A sa mort, sans descendance et sans famille, il a légué ses biens à vos grands-parents. C’était il y a quelques mois.

Je revoyais le journal entre les piles d’assiettes. Je l’interrogeais sur la date de sa dernière parution. Celle qu’elle me donna correspondait à l’exemplaire du buffet. Mon grand-père avait gardé le dernier numéro.

Elle retira une photographie d’un dossier bleu. «Voici la maison que cet homme a léguée à vos grands-parents. Ils voulaient vous en faire la surprise. Cette maison, si étrangement présente à votre famille, est la vôtre».

Je restais sans mot dire, les larmes de joie et de tristesse se mêlant. Rose ajouta doucement : aujourd’hui peut être ou alors demain, nous pourrons la visiter.

Je me réveillais engourdie d’une nuit agitée de rêves. La veille, Rose m’avait proposé de nous retrouver à dix heures au Café Bleu. Il faisait doux, le soleil se hissait petit à petit hors de son nid.

En arrivant devant cette villa, j’étais très émue. Cette maison me semblait immense, surtout lorsque j’étais enfant. Je m’y voyais, recevant des personnes de passage. Elles se délecteraient de la vue sur l’océan. Chaque chambre serait décorée sur un thème différent. Dans la tour se trouveraient la bibliothèque et le salon de musique.

Je repris pied dans la réalité lorsque Rose, ayant tourné la clé dans la serrure, m’invita à visiter mon rêve. Il flottait une odeur de cannelle et de vanille.

Ainsi que je l’avais imaginé enfant, il y avait plusieurs chambres et au rez de chaussée, un grand salon, face à la mer donnant sur une terrasse. Dans la tour, un piano à queue invitait à jouer. Au premier étage, la bibliothèque nous tendait les bras chargés de livres. Cette tour était telle que je l’avais imaginée. J’en appréciais particulièrement le calme et la sérénité. Avant de quitter la bibliothèque, mon regard se posa sur un éventail qui évoquait davantage l’Asie que l’Afrique du Nord.

Rose me remit les clés, m’invitant à rester le temps que je souhaitais. Elle sortit et je la vis s’éloigner sur la plage, tout de blanc vêtue, la tête ornée d’un petit chapeau, très 1920.

Je me dirigeais vers le salon, baigné de soleil. Je fus attirée par une aquarelle représentant une oasis au milieu des dunes. Elle était signée Jean-Paul Chanterel. J’ignorais jusqu’alors que mon grand-père peignait.

Je m’assis en tailleur et me reconnectais à ce rêve de petite fille, ce rêve envolé, négligé, caché dans un tourbillon de la vie. Celle-ci, en m’offrant ce bijou, me permettait de m’y replonger et peut être de le réaliser… Ma vie et mon rêve pouvaient ils cohabiter ?

Je pourrais travailler et dès les beaux jours venus, Paul et moi viendrions dès le vendredi jusqu’au dimanche ou lundi, afin de s’occuper de la maison d’hôte. Dans quelques années peut être, pourrions-nous envisager d’habiter définitivement ici.

Où étais je partie ? J’en étais là de mes réflexions, lorsque je reçus un appel de mon compagnon. Il perçut tout de suite mon enthousiasme. Je ne parvenais pas à lui expliquer mes projets, beaucoup trop excitée. Je le priai de me rejoindre.

Quelques heures plus tard, je le conduisis sur la plage, devant la maison, lui laissant le temps de s’en imprégner. Je lui pris la main, lui bandais les yeux, l’emmenais dans la bibliothèque. Je lui ôtais le foulard. Je le vis transporté.

Libre d’entrevoir la réalisation de mon rêve, j’exposais à Paul, au cours de l’heure qui suivit, toutes mes élucubrations : la maison d’hôte, dans un premier temps ; venir habiter ici à terme. Je lui demandais d’y réfléchir.

Puis l’automne vint. Nous étions un lundi. Il était à peu près onze heures du matin. Nous allions à Saint Jean de Luz. Nous devions rencontrer le maître d’œuvre afin de définir comment nous souhaitions donner corps à mon rêve oublié, trop longtemps négligé, qui était devenu le nôtre.

Sylvie Poquet

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