Saint Lazare

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29 / 06 / 2023
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Orteil d’Or 2023 Saint Lazare par Didier Laurens

Saint-Lazare. Cette gare est tout un symbole. Celui du malheur, de la déveine, de la poisse, de la scoumoune. Quand j’y avais débarqué la première fois, j’avais été ébahi par toute cette foule, par ces gens qui allaient et venaient, pressés et déterminés, bousculant sans voir, coupant la route sans demander pardon, sûrs d’être le centre du monde, les yeux fixés vers un but qu’ils étaient seuls à connaître. Paris, un autre monde. Ma nouvelle vie. Il faudrait s’y faire, pas d’autre solution. Pas de possibilité de retour vers la province honnie. Maintenant il fallait tacher de survivre ailleurs. J’avais tout quitté, travail, famille, patrie, puisque le plus important je ne l’avais plus. Mieux valait partir, tenter l’aventure dans la grand-ville pour laquelle j’avais tant de répulsion. Mes chères forêts, mes rivières chantantes, mes lacs froids ce n’était plus pour moi. Et puis le temps était passé, j’avais galéré comme jamais. J’avais joué des coudes, donné et reçu des coups, surtout au sens propre. Mon physique de bûcheron m’avait servi à encaisser. La grande baraque aux yeux pâles avait fini pas se faire respecter. Je ne redoutais plus grand chose et personne n’insistait. Je m’étais taillé une réputation dans la sécurité, la protection rapprochée. C’était dangereux mais ça gagnait bien. Bien sûr il ne fallait pas faire la fine bouche avec les employeurs. J’avais du aussi changer de nom. Ronic faisait trop référence à mes origines, je m’appelais désormais Ciron, une de mes marottes, l’anagramme. Si ma mère l’avait su, elle m’en aurait voulu de renier ainsi les anciens. Mais elle avait vieilli seule et elle était morte dans son EHPAD. Et ça je ne me le pardonnais pas.

Je me retrouvais donc dans le train que je pensais ne jamais plus reprendre. Le retour du fils prodigue qui arrive trop tard est un mauvais cliché. Se recueillir sur la tombe avant de retomber en enfer, il le fallait. Peut-être qu’il y aurait quelques vagues cousins qui ne se souviendraient pas de moi. Mais il y aurait peut-être aussi Marussia. Je n’arrivais pas à m’enlever cette idée de la tête. Dès que je pensais à elle, je sentais un grand trou dans ma poitrine. Et pendant que je ressassais ma rage, ma frustration, mon désespoir, ma haine de l’humanité, tous les souvenirs remontaient. Surtout les années lycée. Ce bonheur fou. Cette sensation que le monde entier m’appartenait, m’attendait avec elle à ses côtés. Comme je me sentais fier lorsqu’on arrivait main dans la main, c’était sûr tout le monde m’enviait. A l’époque Soyouz n’était pas encore rentré dans notre vie. Venu de nulle part, ne payant pas de mine, il avait monté sa première concession, puis une deuxième, et les affaires avaient vraiment démarré, ça avait marché du feu de dieu. C’était le grand boum de la bagnole il y avait du travail pour qui en voulait. Alors l’occasion était belle, il fallait se renflouer pour les études, l’ambition ne manquait pas. Soyouz était généreux. Il nous avait pris en amitié, il nous invitait au restaurant, faisait le flambeur. Marussia minaudait, moi je ne me rendais compte de rien. Il lui avait proposé un poste bidon dans le marketing de sa boite pour l’avoir près de lui. Elle rentrait de plus en plus tard, parfois je ne la voyais pas pendant plusieurs jours. Et soudain elle m’a annoncé qu’elle voulait faire une pause avec moi Le lendemain j’étais allé demander des explications au garage et je m’étais fait viré comme un malpropre. Marussia avait le droit de faire ce qu’elle voulait de sa vie et moi je devais m’écraser.

Au départ le wagon était bondé mais petit à petit s’était vidé comme d’habitude, les banlieusards regagnant leur grotte avant de retourner le lendemain sur leur terrain de chasse. J’avais fini par m’assoupir, bercé par la pluie qui tapait sur les fenêtres. Un instant je crus la voir, là à quelques sièges devant moi, Marussia, qui me cherchait peut-être, mais je sombrais de nouveau dans le sommeil peuplé d’hallucinations vengeresses. Au cimetière, il y avait quelques petits vieux contrits et quelques plus jeunes aux yeux clairs que je ne reconnaissais pas mais qui me regardaient d’un air mauvais. La pluie battante n’avait pas cessé. J’étais trempé, je me mis à sangloter durement au moment où la dalle se refermait. Après quelques étreintes je pris congé prétextant l’horaire du train. Mais j’avais une attraction irrésistible. Sur le chemin de la gare, je m’arrêtais devant la concession et je poussais la porte. Soyouz leva la tête et pâlit. Je serrais les poings dans mes poches à m’en faire mal. Il s’avança, arrogant et moqueur. A cet instant Marussia sortit de son bureau, je la dévisageais avec voracité, cela faisait si longtemps, et tout à coup j’eus l’impression qu’un abcès se vidait, je tournais les talons avec un sourire triste, les laissant décontenancés. Je n’allais pas rater ce train.

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