Mariette, notre « Vedette »

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03 / 02 / 2015
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Mariette, notre « Vedette »

pompe jardin

Jusque dans les années 60, il n’y avait pas d’eau courante dans les maisons de mon village ; c’est dire combien les tâches quotidiennes : toilettes, cuisine, vaisselle, ménage, lavage, arrosage des jardins en été étaient difficiles et souvent pénibles.

Certes, il y avait des sources qui jaillissaient un peu partout dans la nature, en particulier sur « la montagne » ; il aurait suffi de les capter et de faire les aménagements nécessaires pour améliorer les conditions de vie de tous, mais chacun se débrouillait et il y avait quasiment un puits dans toutes les petites propriétés et « sûr sûr » on buvait de l’eau potable ! Aller chercher l’eau au seau, c’était normal !

Parfois le puits était profond ; il fallait du temps et des précautions pour descendre et surtout remonter le seau plein sans perdre les gouttes précieuses, puis tout ramener à la maison à bout de bras et déposer deux ou trois seaux pleins d’eau sur la grande pierre d’évier où l ‘on faisait aussi la vaisselle dans des bassines de zinc, ce qui était relativement facile.

Chez nous, dans le jardin, il y avait un puits mitoyen ; mes parents avaient fait installer une pompe à balancier ; il fallait l’isoler du froid en hiver ; une fois amorcée, on pompait l’eau dans nos seaux pour la maison ou dans un bassin qui pouvait contenir une réserve d’eau destinée à l’arrosage du jardin ; ce bassin qui devenait aussi notre piscine en été quand le soleil avait un peu réchauffé l’eau fraîche venant du puits ; le voisin râleur prétendait toujours que notre consommation dépassait la sienne et que nous allions tarir le puits ; plaisir de la mitoyenneté ! Autre utilisation importante de ce bassin : la préparation des lessives !

J’ai en mémoire les gestes de ma mère mettant les draps tremper dans ce bassin « multifonctions » ; des draps de bonne toile blanche, au tissage serré, longs, larges et lourds à manipuler, qui ne tiendraient pas dans nos lave-linge d’aujourd’hui ; avec les draps, les torchons, les serviettes, les « chemises grand-mère », tout le blanc qui pouvait bouillir ; on comptait au moins deux heures de trempage ; ça devenait plus long quand les clientes à la boutique accaparaient ma mère ; le décrassage à la brosse en était facilité.

Installée sur une brouette solide, la grande lessiveuse de zinc avec son « champignon arroseur » et la dose de bonne lessive était prête à recevoir le linge prélavé ; elessiveuset en avant pour le lessivage : deux bonnes heures d’ébullition dans la « chambre du four » où le petit poêle rond et bas, chauffé au bois, faisait chanter la lessiveuse sous son couvercle à solide poignée. Pas question de laisser éteindre le feu ; l’odeur « persil » se répandait jusque dans la cour ; je m’en mettais plein les narines ; ça sentait déjà le propre ; après un temps de refroidissement, Mariette intervenait : Mariette, c’était notre « mère Denis »

Mariette, une grande et forte femme, une paysanne aux bras solides qui allait « en journée »pour laver le linge, une travailleuse robuste très estimée ; elle avait son franc-parler et fréquentait les lavoirs du village quasi tous les jours ; à cette époque, trois lavoirs répartis dans le pays, accessibles à toutes les lavandières. Pour nos lessives, Mariette fréquentait le «  lavoir du bas », un bâtiment vaste construit en dur ; à l’intérieur, un grand bassin rectangulaire entouré d’une large bordure inclinée en pierre sur laquelle on pouvait frotter, taper sans risque ; une haute charpente de bois dur pour soutenir le toit couvert de tuiles plates ; autour des murs en partie vitrés, de solides rampes épaisses pour égoutter le linge ; le sol dallé restait toujours humide ; quand il faisait froid, on pouvait se réchauffer un peu près d’une vaste cheminée où se consumaient d’énormes bûches.

Quand Mariette arrivait chez nous, aidée par mon père, elle chargeait la lourde lessiveuse sur la brouette, le baquet de linge de couleur qui avait trempé à part, et tout le matériel indispensable : le cabasson, garni de paille sèche pour lui permettre de se protéger les genoux en se penchant vers le bassin, le battoir de bois qui allait entrer en concert avec les battoirs des co-lavandières, la brosse en chiendent, la pince en bois pour sortir le linge chaud de la lessiveuse, sans oublier le gros cube de savon de Marseille, l’eau de javel pour les taches rebelles et le casse-croûte que ma mère lui avait préparé ; alors Mariette soulevait les bras de la brouette et descendait la « belle rue » , prenait la rue de « la motte » jusqu’au lavoir où l’on entrait avec la brouette ; Mariette y occupait souvent la même place, au plus près de l’entrée de l’eau, saluait les femmes déjà au travail, heureuses de se retrouver : les discussions allaient bon train, on riait en travaillant, les langues se déliaient entre femmes et on avait droit à tous les potins du village : le mari toujours imbibé d’alcool, le cocu sans le savoir, les couvées de poussins qui rataient, la femme enceinte pour la dixième fois, le champ de blé du Ferdinand envahi de chardons, le chien de Victorine hurlant la mort, la cuite du jardinier surnommé le « mal pendu » suite à sa pendaison ratée, le champ de pommes de terre du « père Jeannot » devenu un champ de doryphores, les disputes autour des héritages, le mariage forcé de la Germaine, tout ça entre les bruits de battoirs, le savonnage et le brossage des liquettes, le rinçage des draps, l’égouttage sur les barres, l’essorage du linge qu’on tordait à la main avec parfois l’aide de la voisine ; nos « Mariette et mère Denis », on les surnommait les « radios-lavoirs ». « C’est ben vrai ça »lavoir

Le travail fini, tout le linge propre retournait dans la lessiveuse un peu moins lourde et la brouette rechargée rentrait à la maison ; le retour dans les montées était pénible ; l’hiver gelait les mains, l’été brûlait les joues et faisait transpirer. Dans le jardin, on étendait le linge sur deux longs fils qui couraient de chaque côté de l’allée ; au soleil estival tout séchait très vite et le linge bien blanchi sentait bon ; s’il gelait en hiver, les draps devenaient raides et cassants ; les jours de vent, ça claquait dans le jardin comme des voiles de bateau .

Mariette ramenait tout son matériel et n’avait rien gaspillé ; la « mère Denis » avait raison : « autrefois on ne gaspillait rien, ni l’eau, ni le savon, ni la lumière »

Aujourd’hui, nos lavoirs sont devenus local des pompiers, lieu de stockage du matériel communal ; le troisième, le plus ancien, n’existe plus, les herbes folles, les ronces, la végétation sauvage recouvre ses ruines.

Aujourd’hui, Mariette n’existe plus ; nos lavandières s’appellent Vedette, Thomson, Electrolux … mais elles n’ont plus la verve et la résistance de nos Mariette et Mère Denis ; « ça c’est vrai ça » !

Aujourd’hui, dans de nombreux villages, on visite nos vieux lavoirs humbles, restaurés, fleuris, témoins de ces lieux de vie d’autrefois où l’on prenait son temps ; ils font partie de notre patrimoine avec beaucoup de discrétion.

02 février 2015 –Fragments – Marité G.

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