Un beau soir d’été…

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23 / 06 / 2020
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 Un beau soir d’été

Il entra dans la pièce doucement. La porte se referma derrière lui, coupant net le brouhaha du couloir. Le silence l’enveloppa. En face de lui, il vit un bureau derrière lequel un homme l’attendait. Seules les lampes des bureaux étaient allumées et il distinguait mal le visage. Sur un autre bureau, une femme semblait remplir des formulaires à l’infini.

  • Approchez Monsieur ! Je vous en prie, asseyez-vous. Vous voulez un café ? Un thé ? On peut aller vous le chercher.

Il s’entendit bégayer « un café, oui merci ».

  • Nathalie, s’il vous plaît. »

La femme interrompit immédiatement le remplissage de sa Paperasse et sortit de la pièce en refermant la porte derrière elle, stoppant l’intrusion agressive des voix du couloir. Le silence retomba. Il était mal sur cette chaise et il commençait à avoir froid. La couverture de survie qu’on lui avait posée sur les épaules ne cessait de glisser. Il tentait de la remonter vainement tout en tirant sur son tee-shirt poisseux qui lui collait à la peau. Son short et ses tongs lui paraissaient si précaires dans ce contexte qu’il avait l’impression d’être nu. L’homme derrière le bureau s’adressa à nouveau à lui :

  • Vous êtes M. Pierre Challant, n’est-ce pas ?
  • Oui, c’est ça.
  • Pierre, je sais que vous venez de vivre un événement terrible et que vous ne savez plus où vous en êtes. Mais j’ai besoin que vous me racontiez ce que vous avez vu. Je vous demande un gros effort mais essayez de rassembler vos idées. Le moindre détail a son importance. »

La femme entra dans la pièce et tendit un gobelet fumant à Pierre. Il le saisit et l’enveloppa de ses deux mains, lâchant la couverture de survie et le tee-shirt poisseux. La chaleur se diffusa au creux de ses mains et un instant, il se sentit presque rassuré.

  • Je vous écoute Pierre »

La voix de l’homme était grave, mais bienveillante. Pierre leva les yeux vers lui. Le regard de l’homme l’encourageait. Il avala une gorgée de café bouillant. Il s’entendit alors parler d’une voix métallique comme si elle ne lui appartenait pas. Puis aux mots s’accrochèrent des images et il raconta :

  • Martin m’avait appelé la veille pour m’inviter au restaurant. Il a eu une promotion et il avait envie de fêter ça ! On aime bien aller dans cette pizzeria du 5ème, ils ont une belle terrasse et avec cette chaleur, c’était l’idéal. On est arrivés vers 20h, il y avait déjà pas mal de monde et Martin m’a fait remarquer qu’il avait bien fait de réserver. On s’est installés et on a commandé un apéro, c’était sympa, on se serait crus en vacances ! »

Pierre esquissa presque un sourire et bu à nouveau une gorgée de café.

  • On discutait de choses et d’autres quand j’ai remarqué une fille à la table derrière Martin, en fait, on était presque en face l’un de l’autre. Elle dînait avec une amie. Une fille classe, elle portait une petite robe à fleurs et elle avait un sourire pas croyable. Je l’ai fixée plusieurs fois et elle a fini par me regarder et me sourire aussi. J’étais plutôt fier mais Martin a fini par le remarquer et s’est foutu de moi mais en reconnaissant « qu’elle n’était pas dégueulasse », ça c’est Martin, toujours trash… La fille s’est alors levée et j’ai prétexté une envie d’aller aux toilettes. Ça a bien fait rire Martin et il s’est encore foutu de moi. Elle réglait l’addition au bar. Sans hésiter, je lui ai proposé d’aller boire un verre… avec son amie… Et Martin, si elle voulait bien. Je crois que je bafouillais un peu mais ça n’avait pas l’air de la gêner, au contraire, elle me renvoyait ce sourire incroyable, elle semblait s’amuser. Elle était magnifique, elle avait une petite chaîne en or si fine autour du cou, ça lui allait bien, ça donnait envie d’aller l’effleurer du bout des doigts…

Il n’y avait plus de café dans le gobelet ; Pierre scrutait le fond comme s’il pouvait s’y échapper. La femme se leva et proposa de le débarrasser du gobelet.

  • Vous en voulez un autre ?
  • Non merci et il lui tendit le gobelet vide.

Il remonta la couverture de survie sur ses épaules, le tee-shirt avait séché et semblait être comme du carton contre son ventre. Pierre se recroquevilla sur sa chaise, il se sentait soudain glacé.

  • Pierre ? Que s’est-il passé ensuite ?

Pierre regarda l’homme. Il ne voyait pas bien son visage mais finalement cela n’avait pas d’importance, il s’accrochait juste à cette voix grave, comme une bouée de sauvetage qui l’empêchait de céder à la panique qui faisait trembler son corps par soubresauts.

  • Pierre ? S’il vous plaît…

Pierre déglutit péniblement, sa bouche était sèche et semblait ne pas vouloir s’ouvrir. Ses poumons s’étaient remplis de sable, il était au bord de l’étouffement.

  • Pierre !

La main de la femme était posée sur son épaule.

  • Pierre, regardez-moi ! Ça va aller, respirez, voilà doucement, respirez profondément…Ça va mieux ?
  • Oui, je crois….

Il respira profondément encore une fois :

  • Les vitrines du restaurant ont soudain explosé. Je regardais mais je ne comprenais pas, comme si mon cerveau s’était arrêté de fonctionner. Tout ce verre qui volait partout. J’ai vu Martin qui entrait en criant dans la salle. Tout le monde était debout et puis, il y a eu des coups de feu, ça s’est mis à hurler dans tous les sens, certains couraient, d’autres se cachaient sous les tables… Et puis un homme est entré, et je me suis dit : « Mais qu’est-ce que fait ce gosse avec une arme ? » Il avançait méthodiquement et tirait, tirait encore et encore…
  • Où étiez-vous à ce moment-là ? »

Pierre se prit la tête entre les mains.

  • Je suis resté planté devant le bar, je serais sans doute mort si Martin ne m’avait pas entraîné derrière le comptoir où d’autres s’étaient déjà planqués.
  • Il y avait qui ?
  • Moi, Martin, la fille et un autre.
  • Vous vous souvenez du visage de cette autre personne ?
  • Je crois que je ne pourrais jamais l’oublier.
  • Poursuivez, je vous en prie.
  • Les coups de feu approchaient quand Martin m’a montré une trappe qui descendait à la cave. On a réussi à l’ouvrir et Martin s’y est glissé, j’ai commencé à descendre en faisant signe à la fille de venir. Mais elle me regardait fixement, sans bouger. Elle tremblait tellement, à chaque détonation, elle sursautait. J’avais tellement peur moi aussi, je voulais remonter, aller la chercher, mais j’étais paralysé. J’ai regardé l’autre personne, l’implorant de nous aider, c’est à ce moment que son crâne a explosé, la fille a hurlé, il y a eu d’autres détonations et, …et j’ai lâché la trappe. »

Pierre n’est plus qu’une loque sur sa chaise. Son visage ruisselle de larmes

  • Et une fois dans la cave, que s’est-il passé ?
  • On a entendu encore des cris et des coups de feu et puis plus rien. On était dans le noir, et Martin s’est mis à vomir.
  • Vous y êtes restés longtemps ?

Pierre secoua la tête de gauche à droite, désespéré.

  • – Je n’en ai pas la moindre idée, je ne sais même pas l’heure qu’il est !
  • Je comprends Pierre, ça ira pour aujourd’hui, il est 2h00, allez prendre du repos. Quelqu’un va vous raccompagner chez vous.

Pierre se leva péniblement, il sentit le tissu rêche de son tee-shirt sur son ventre.

  • Je ne sais même pas comment tout ce sang est arrivé sur moi.
  • Vous ne vous souvenez pas ? demanda la femme
  • Non ! Et je ne suis pas blessé !
  • Quand vous êtes sorti du restaurant, vous avez vu le corps de la jeune fille. Vous vous êtes jeté sur elle en hurlant. C’est son sang que vous avez sur vous.

Pierre regarda la tache sur son tee-shirt. Il songea alors qu’il ne connaissait même pas son nom.

Corinne Bourcier

1 Commentaire

  • Robert

    Ce texte : « Un beau soir d’été » sera mon choix pour l’Oteil-d’Or-2020. Il arrive juste avant « Y avait quoi? » et pour la troisième marche du podium ex-æquo « La Cérémonie » et « Gérard ».
    Continuez à nous ravir.
    Robert

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