François

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13 / 06 / 2016
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Orteil d’Or 2016 François Etienne Brac

Elle, je veux bien mais lui ? Je vois ma bobine et je rembobine. Huit ans à peine. De la croûte sur les genoux et le substrat sans écorce. Nénuphars errants solitaires : ça, moi et surmoi flottent à la surface d’un doute. D’où viens-tu petit moutard ? Qui es-tu ? Hésite, prospecte, inspecte, et se demande. Au fond de ses pensées comme de ses entrailles la sempiternelle rengaine tenaille l’inquiet hésitant. Rien ne va plus, faites vos jeux, père, un père et passe. On se dit foutaise, je suis bien de lui, merde c’est sûr, tout l’indique non ? Sauf qu’il y a toujours un truc qui ne va pas. Un air de famille qui peine sur l’hypothèque. Je pose mes rushs. On reverra ça plus tard.

Clac bobine ! En super-huit. Me voici à l’heure d’Adonis, chair de marbre, cheveux au vent, muscles bandés, la grande vendange des peintres italiens. Le corps dans toute sa sève, prétentieux et sublime. Un âge ou la consultation réflexive demande à l’éphèbe en mal de devenir, un temps certain. Écarter déjà le désordre cutané et explorer le grand reste : taille, poitrine, carrure… Trente-cinq années nous séparent. Ceci octroie au daron prétendu une corpulence supérieure, c’est notoire. J’ai tout de même déjà vingt centimètres de plus que lui. Bon chien, chasse de race, on hérite généralement des qualités de sa famille, non ? Halte là, que dis-tu, François ? Est-ce toi-même ? Je crois déceler à mon endroit un trait de naïveté que je ne me soupçonnais pas et ce tout de même déjà  fustige ma conscience endormie. Il ne m’en faut pas plus pour percevoir derrière l’évocation crâne de ce petit regain de croissance, un germe spontané du malaise sous-jacent. Je quitte mon speculum pour saisir le problème à bras le corps. Recours au numérique. Mains sur le clavier, je m’exécute avec la fébrilité du hacker insoumis : caractères héréditaires, génétique, Adn, envoi. Ô temps, suspends ton vol ! Le sujet est délicat, les réponses multiples. Je dois chercher encore. Parcourir comme un damné les méandres du web où foisonne l’effervescente dialectique du génie génétique et du non-savoir. Je me laisse aller à toutes les supputations possibles, les plus simplistes et les plus farfelues : à commencer par la petite goutte de sperme égarée sur une lunette de chiottes. Je n’écarte pas non plus l’hypothèse de l’erreur d’aiguillage à la clinique des Pas perdus. L’unité d’assistance médicale à la procréation ne regorge-t-elle pas d’externes dépenaillés qui n’ont rien à y faire et qui, pour une péritonite aiguë vous mènerait sans savoir au mauvais bloc ? Enfin, n’ayons peur de rien, le fils oublié de l’immaculée conception ? J’entends le cœur des anges. Mon beau miroir m’invite sans vergogne à être le frère de Jésus. Cœur gonflé, je vogue dans la harpe et le firmament. L’option christique est plaisante. Mais ce moi qui inébranlablement me tient à la culotte me ramène à la raison. Prolem sine matre creatam, je range l’ordi dans son tabernacle, on verra ça plus tard.

Clac bobine. J’ai vingt-cinq ans. Anna Karenine, Madame Bovary, La femme du boulanger, j’écluse la littérature et le grand défilé des cœurs infidèles. Ma mère a mille visages, mille coiffures. Je la vois au bras des jeunes soldats, posant pour des sculpteurs lubriques, fréquentant notaires, devenir Merteuil, Lucrèce Borgia, Manon Lescaut. J’enfile les hypothèses à mon chapelet, raye les incompatibles. Je mesure avec sidération le champ des possibles. Avis aux ingénus et autres imbéciles heureux qui sont nés quelque part : on croit connaître son porte greffe mais il n’en est rien.

Clac bobine, trente ans. J’ai un bébé. Rien avoir avec moi. Que l’âme est seule et démunie, assise au bord du gouffre de nos antagonismes !

Clac en trente-cinq millimètres, un peu avant la cinquantaine. Soir d’orage. Albums de photos et tisanes chaudes. Ma tante et moi promenons nos regards sur les vieux clichés jaunis, échangeant moult commentaires amusés. Quand un zéphyr chafouin de double-porte, un malin sournois et inattendu gagne cette dernière. Tiens, regarde, un autre François ! Un vieil ami de ta mère. Je reste pantois. L’homme est mon sosie. Un coup de tonnerre vient ponctuer cette fiel-allusion qui sonne là comme une sentence. Je soupçonne la perfide d’un contentieux avec celle dont j’occupais jadis un petit coin d’entrailles et qu’elle tente de faire passer ici pour une sacrée salope. La pluie triste et désolante succède à l’orage. Une forte mélancolie s’empare de mon être comme deux mains sur mes épaules. Ma tante y ajoute les siennes : On s’interroge toujours, tu sais !

Clac bobine. …J’ai un mal fou à digérer les révélations de ma vieille tante. L’inconnu suggéré squatte mon esprit. Mon psy savoure. Ma paranoïa révélée provoque une érection au fond de son falzar : enfin un cas clinique ! Dans père…il y a perd, non ? – Je t’emmerde ! Je n’en peux plus, je prends un congé, la montagne, la mer, l’inde, un voyage ! Sédatif qui s’impose et repose. Voir la vie autrement qu’à triturer ses racines. Je m’affale sous un pommier. Mais voici qu’à l’instar d’un Newton de rase-campagne, la cruelle et démoniaque question me retombe sur le coin de la gueule : Elle oui, mais lui ? Isaac, lui, s’était pris une réponse. Life is so unfair !

Clac bobine version 4 K ultra H.D. J’ai soixante-cinq ans. L’âge au doute établi, taillé dans sa bonne roche. C’est mon anniversaire. Il y a un beau gâteau et du champagne. Je remarque que mon fils Jean-François a la même calvitie que son grand-père. Cela ne tient qu’à un cheveu qu’on soit du même sang, plaisante grand-père. Sans commentaire. Cheveux, poils ? Sur la commode Louis XV, trône un encadré de Kiki, le gorille du Zambèze, capturé en image par mon supposé au prix de grands dangers. L’animal pose à côté de ma mère et la concupiscence avérée de leurs regards provoque en moi une folle montée d’adrénaline. Je déroule mes rushs. La date de ce safari, antérieur à ma naissance, corrobore mon soupçon et implique la susdite au penchant zoophile. Maman et King Kong ! Est-ce mon Dieu possible ? Me voici sujet à une fulgurante illumination. Une félicitée merveilleuse me gagne jusqu’à porter mon être réconcilié à la porte du salut. Je n’y entrerais pas encore mais je ferais un salut aux anges et aux licornes. Je sais que du haut des cieux, les créatures de Dieux se retrouvent toutes ! Les voix autour de moi se font plus discrètes. J’offre à maman une banane. De ses yeux profonds et pénétrants Kiki est là qui me regarde. Reconnaissant, je lève vers lui mon fruit fier et jaune.

A toi Papa !

  • Prolem sine matre creatam : enfant né sans mère.
  • Life is so unfair ! : la vie est trop injuste !

 

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