La Légende de l’Orteil d’Or

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26 / 06 / 2024
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Il était une fois un barde appelé O’Burn qui vivait dans une forêt de Bourgogne. Sa réputation était grande, aussi fameuse que les péripéties qui l’avaient amené dans cette forêt reculée.

O’Burn avait quitté Brocéliande après la disparition de Merlin, son maître, chassé par une fée vengeresse. Il ne voyageait pas seul dans cet exil. Il était parti avec son ami Tramyble-le-sculpteur, qui l’accompagnait à la lyre quand il déclamait ses poèmes sur les places de village, ainsi que son cuisinier-échanson, Louasô. Car O’Burn n’aimait rien tant qu’un bon verre, voire plusieurs, après une journée de pérégrination, en compagnie de ses amis. S’étaient greffés à leur trio, des émules du maître rencontrés çà et là.

Un jour de solstice, après des semaines de marche, alors que la nuit allait tomber, ils arrivèrent devant un chaos de rochers qui formaient une caverne profonde. Une ruisseau sinuait en contrebas, emplissant l’air d’un murmure divin. Dans les incantations de l’eau, O’Burn, reconnut le lieu que la déesse Bélisama la Guérisseuse, qu’elle soit remerciée, lui avait décrit lors d’une transe. C’était le signe qu’il attendait pour arrêter son errance.

Il était temps. Il n’en avait pas parlé jusque là mais la douleur causée par une blessure envenimée à l’orteil gauche était devenue insupportable. La fièvre le faisait grelotter. Il fallait agir. Dans la petite troupe qui le suivait se trouvait un homme, Renslau de Ridi, qui avait été sorcier-guérisseur au service de Bélisama, avant de se mettre à taquiner la muse à plein temps. Il examina la blessure, non sans maudire l’habitude d’O’Burn de porter des sandales quel que soit le temps ou le terrain. Il était clair qu’une grande cérémonie devait se tenir le plus vite possible pour enrayer la progression maligne en demandant l’aide de Bélisama. Il fallait construire une autel, ramasser du bois pour un bûcher rituel, cueillir des herbes magiques, préparer des victuailles et des libations.

La troupe s’activa. Quand tout fut prêt, il se fit un grand silence. O’Burn s’étendit sur l’autel qu’éclairait des torches de roseau. La cérémonie pouvait commencer. Après la distribution des herbes rituelles qui furent promptement fumées, les hommes présents rivalisèrent d’originalité, de rythme et de raffinement dans les textes qu’ils déclamèrent ou chantèrent en ‘honneur de la déesse Bélisama. O’Burn prononça un éloge fervent et subtil avant de boire la coupe que lui tendait son ami le guérisseur. Les tambours résonnèrent dans la caverne, se faisant de plus en plus pressant. Renslau de Ridi, affûtait sa lame. O’Burn avait les yeux révulsés, en transe.

Alors la petite assemblée vit clairement surgir Bélisama elle-même au bout de la lame que le chirurgien brandissait vers le ciel. La déesse se pencha vers le malade. Elle imposa ses mains sur l’oreille gauche d’O’Burn, oreille qu’elle délaissa heureusement pour descendre jusqu’à l’orteil verdâtre. L’orteil rétrécissait à vue d’oeil, grignoté par une force invisible. Elle fouilla dans le sac qu’elle portait en aumônière à la ceinture pour en extraire, d’un geste élégant de semeuse, une pluie d’or qui vint remplacer exactement l’orteil manquant. Et elle disparut.
La sidération était si grande qu’il fallut un certain temps avant que chacun ne retrouve ses esprits et se précipite vers la table. Le regard éberlué de Renslau de Ridi courait de sa lame incandescente à l’orteil d’O’Burn. Une clameur joyeuse s’éleva soudain et l’un des chanteurs commença à psalmodier un hymne d’action de grâce qui fut repris avec ferveur par l’assemblée émerveillée. Le vin coula à flots.
La déesse avait accompli un miracle en ce jour de solstice : l’orteil purulent avait été remplacé par un orteil d’or qui étincelait à la lumière des torches, comme un trophée. 

Elle lui avait aussi rendu la vie. Seule conséquence inattendue, O’Burn dut se résigner à protéger son orthèse d’or de la convoitise du courant des mortels en portant des chausses semellées, un petit sacrifice pour l’immense faveur qui lui avait été faite.

Alors, tous les ans, autour du solstice d’été, quand la lumière s’étire avant de retourner vers la nuit, le barde O’Burn réunissait ses amis pour commémorer ce miracle, une fête mémorable où chaque invité faisait entendre une ode écrite pour l’occasion.

Tramyble-le-sculpteur, à la demande d’O’Burn, fondait un pendentif en or en forme d’orteil, différent chaque année, trophée qui récompensait l’oeuvre la plus applaudie.

La tradition a traversé les âges, avec quelques variantes bien entendu. Ce sont les variantes qui font la vie, n’est-ce pas ?

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