Chansonnette

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23 / 06 / 2020
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Chansonnette

Toute la journée je pense à mon Martin. Mon fils chéri. Il est dans un foyer d’accueil, l’assistante sociale dit qu’il est mieux là-bas, étant donné son œil, et puis qu’il aime pas quand ça change souvent. Au moins il peut travailler à son ESAT et ça lui fait comme une colonie, avec les animations. D’ailleurs c’est ce que Françoise lui avait dit quand elle m’a sortie de ma maison pour me mettre ici. La chienne. Elle a commencé par me prendre ma voiture, je sais qu’elle l’a volée pour la donner à son mari, soit-disant que je ne pouvais plus conduire, que ça me fatiguait. Puis elle m’a mise ici, et en même temps elle a emporté Martin pour le placer dans une colonie. Oh, comme j’y pense à mon Martin. L’autre, celui qui passe pour le papier toilette, il me dit, « hein Madame votre fille elle va venir vous voir dimanche. Ca vous fera de la compagnie ». J’ai pas de fille. J’ai jamais eu de fille, moi j’ai un fils et il s’appelle Martin, même qu’il viendra me chercher. C’est pas comme cette assistante sociale qui m’empêchait d’aller chez le coiffeur toute seule, fallait qu’un animateur m’emmène dans une ambulance, vu qu’elle m’avait pris mon auto, cette gamine. Elles s’appellent toutes Françoise, à c’t’âge. Ou alors c’est l’emploi qui veut ça. Le deuxième autre, celui qui me change les draps, me dit, « votre fille va venir dimanche ». Quel jour on est ? Samedi. Je pleure, Martin ne m’a pas appelé. Ils vont me rendre folle. J’ai pas de fille ! Ils sont malades mentaux dans leurs têtes. Je me méfie même de ce qu’ils me donnent à manger, c’est possible d’empoisonner quelqu’un avec tous les déchets nucléaires qu’ils mettent dans les épinards. C’est le présentateur du journal qui l’a dit hier à la télé. Martin me manque. Martin il a quoi, 5 ans maintenant, c’est un garçon mignon, mais c’est vrai qu’il n’y voit pas bien. Il chouine souvent, c’est pas une raison pour le taper. L’autre dit qu’il est retardé, comment ça « retardé » ? La grosse aiguille est sur le 2, bientôt l’heure de l’assistante sociale. C’est une fille quelconque, on n’a pas idée, elles se ressemblent toutes. Mais enfin celle-là d’aujourd’hui m’a apporté des petites madeleines. Vous savez pas qu’ils m’affament ici? L’autre, elle ne répond pas. Je le vois bien à ses petits yeux vitreux tout serrés, pas une lumière celle-là. J’aimerais que Martin m’appelle. La fille dit : « Mais enfin, Martin t’appelle, tu sais bien. Moi aussi je t’appelle ». Je me mets à pleurer, il n’y a vraiment plus de considération, n’importe qui peut s’amener avec des gâteaux et cracher des mensonges. J’ai mangé toutes les madeleines. Après, l’autre arrive et lui dit qu’il est temps. Elle se lève et, par pure politesse car je suis une femme bien élevée, je n’ai pas oublié d’où je viens, je la raccompagne à la porte. Mais qui c’est, celle-là? Je l’ai jamais vue. Elle a la main sur la poignée. Elle se gêne pas. – Bien le bonjour Madame, qu’est-ce qui vous amène par ici ? lui dis-je. – Je suis passée rendre visite à ma mère, répond seulement l’espèce d’assistante sociale. – Ah ça c’est gentil, d’aller voir sa maman ! Ça va lui faire plaisir. Les petits yeux vitreux deviennent tout mouillés. Mais, ça ne parle pas. Ca ne dit rien. Je devrais peut-être appeler l’autre pour qu’il l’aide à retrouver son chemin.

Émilie Truchet

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