Entre chien et loup

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11 / 02 / 2019
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(Voilà ce que peut produire un déclencheur d’écriture)

Entre chien et loup
Un jour de profonde solitude tu décidas d’acheter une concession funéraire de 3 places au cimetière du village de St Martin. Tu étais né à Malay dans une salle de l’ancien hôpital transformé aujourd’hui en maison de vieillesse. Tu avais vu tes vieux y mourir dans d’atroces agonies et tu t’étais juré de te tirer un coup de fusil plutôt que pourrir dans cet endroit puant l’excrément putride sous couvert d’un parfum dit floral.
La décision n’était pas ton fort c’est ainsi que tu vivras seul à la mort de tes parents. Tu avais fait quelques touches au temps de ta jeunesse mais les filles de ces années là s’inventaient des mondes en fuite au plus vite du giron parental. Pour avoir pesé le pour et le contre trop longtemps, elles étaient déjà épousées, mères de famille et redevenues corvéables à merci.
Fils unique, la transmission des biens fut d’une limpidité d’eau de source. Tu repris la ferme familiale au grand bonheur du pater qui remercia « St Germain des Bois » chaque jour, du soir aux aurores quand la nuit confondait le jour d’outrage aux bonnes heures.
Ta mère avait eu d’autres prétentions pour toi. 
Un été, elle avait eu un béguin pour un jeune facteur en remplacement du Dédé alors qu’elle était à l’apogée de la fleur de l’âge. Tous les matins vers 10h30, les jappements du chien complice, annonçaient sa venue. Les sens en émoi, elle s’empressait de sortir du logis, l’air de rien, guillerette bien consciente qu’elle n’aurait plus guère l’occasion de flirter avec un aussi joli garçon. Le rose aux joues du messager veloutait ses pommettes qu’elle rêvait de caresser du revers de son index. Il faut dire que la côte était raide, il fallait un sacré coup de pédale pour arriver jusqu’au porche de la ferme. Le jeune homme, pas dupe se fendait d’un gentil compliment, d’une blague coquine prenant bien soin de marquer un arrêt furtif pour mieux faire demi tour laissant là, madame le feu au bas ventre et des étoiles au cœur. Elle n’avait plus que ce mot à la bouche « le facteur », le p’tit facteur, qu’est ce qu’il est gentil et aimable avec ça, ça nous change du Dédé…!

Les turpitudes de ta mère ne t’intéressaient guère pas plus que celles de ton père.
Facteur, pff, ton père estimait que c’était un métier de peu de noblesse. Comment pouvait-il imaginer le goût soudain de ta mère pour les PTT, « Petit Travail Tranquille », plaisantaient les hommes, les vrais, ivres de leurs certitudes.
Enfin, en septembre, le train train reprit ses droits, le Dédé sa tournée, ta mère ses tâches quotidiennes comme si cette parenthèse enchantée n’avait pas eu d’existence pourtant, c’est ce qui la fit tenir jusqu’au chevet de sa vie. Il y eut cependant un moment où ta mère disparut, tu ne saurais dire combien de temps et pourquoi. Une aide ménagère vint la remplacer mais attention en tout bien tout honneur. Le vieux lui aurait bien fait son affaire mais la jeune fille qui n’était pas née de la dernière pluie eut vite fait de le rembarrer à l’aide de mots simples accompagnés d’un shoot droit bien précis dont le vieux se souvint longtemps. Ta mère réapparut comme si elle était partie la veille. Il te sembla que ses traits s’étaient figés, son regard fixait le vide sans jamais s’accrocher, sauf à la pendule. Chaque matin elle vérifiait la synchronisation de l’horloge parlante avec le vieux coucou, même pour quelques secondes inlassablement elle corrigea l’avance tant qu’elle put grimper sur une chaise. Quand l’arthrose commença à s’immiscer dans ses articulations, elle agitait  ses doigts dans des borborygmes indicibles, son cerveau avait fui quelque part dans des sacoches aux plis timbrés.
Tu fis ton apprentissage à la ferme en alternance avec le lycée agricole, ensuite ton père t’engagea comme commis. Il y avait belle lurette que tu connaissais le travail, tu n’avais pas eu le choix. Dés le plus jeune âge, les garçons devaient participer aux travaux de la ferme, le matin avant l’école, les vacances scolaires, il fallait s’exécuter sans broncher, le père avait le ceinturon facile.
Les saisons, les années passèrent avec la même régularité, tantôt bonnes, tantôt mauvaises le plus souvent moyennes. Vie simple, joie simple, tristesse convenue.
A tes 60 ans, ton père était mort 5 ans auparavant, aujourd’hui c’est ta mère qui s’était vautrée dans cette terre de peu de reconnaissance.
Les condoléances furent brèves, c’est le pas lourd que tu revins à la ferme. Ta carcasse tomba assis sur le billot de bois, les pieds dans la sciure comme tétanisé par une fulgurance à peine audible à l’entendement.
Tu avais aimé la terre, l’odeur du blé, le p’tit gris du père Thévenot qui faisait oublié les dimanches soirs sinistres, la soupe au lait, les cerisiers en fleurs, les orages d’été, les mottes de terre luisantes des labours, les petits matins brumeux, le labeur qui remplit le devoir d’accomplissement pour une chiche vie, tu avais aimé tout celà.
C’est simple, tu avais fermé les yeux vers 18 ans, tu les avais ouverts, là, maintenant assis sur le billot.
L’éveil était rude, tu savais que l’horloge de la cuisine ingrate continuait inexorablement à tricoter le temps, que le chat attendait sa pâtée, qu’il fallait continuer à se nourrir, à dormir à se lever,  se laver, s’habiller, se dévêtir et cette terre, cette terre, sans relâche…..non, tu ne pouvais plus…
« terre ouvres toi, terre fends toi, entends ma voix et engloutis moi…. »
Plus jamais, tu n’entras dans la ferme. Tu vivais de peu, entre les granges, le cellier 
plein à craquer de conserves diverses que ta mère avait cuisinées, de quelques bestioles qui passaient à ta portée…les chats s’étaient multipliés, la plupart étaient malades, souffreteux…
Le maire avait essayé d’intervenir, alerté par ses deux voisins les plus proches…
Rien n’y fit !
Les voisins, des vautours, oui, qui n’avaient en vue que tes terres en friche. Ton humeur de plus en plus sombre s’abandonnait à une paranoïa maladive.
Ton fusil ne te quittait plus.
Un soir de trop de piquette, tu te rendis chez tes voisins, l’un après l’autre tu les tuas d’une seule cartouche en pleine tête, le devoir accompli, tu revins à la ferme et tu retournas le fusil contre toi.
Quand on retrouva ton corps, la moitié de ton visage était déchiré, des morceaux de cervelle s’étaient racornis sous le soleil et on a dû chasser les mouches, les chats qui léchouillaient l’intérieur de ta tête, la vermine grouillait affairée comme un grand jour de banquet.
L’histoire fut grand bruit.
Le notaire convoqua le maire, quelques administrés, le capitaine de gendarmerie et les pompes funèbres.
Solennellement il lut :
En l’absence de Barbara CHIEN et de Gaby LOUP ne désirant pas assister à l’ouverture du testament, je vous fais part de la décision des nommés ci dessous…
Nous, soussignés, Philémon CHIEN, Tristan RENARD et Jean LOUP avons décidé d’un commun accord d’acquérir une concession funéraire de 3 places au cimetière de Malay, allée 3, emplacement 6.
A notre mort il est impératif  de respecter cet ordre dans le caveau, RENARD entre CHIEN et LOUP, CHIEN au plus profond, RENARD au milieu et LOUP au dessus.
Blablabla….
Abasourdie, l’assemblée s’étonna alors de cette violence invraisemblable.
C’est alors que j’intervins.
Tristan RENARD avait convaincu ses voisins veufs dont les épouses s’étaient faites incinérées, de se réunir dans la mort. Ce qu’il ne leur avait pas dit c’est que ça l’amusait beaucoup cette position horizontale, entre chien et loup, rusé et cinglé le Tristan.
Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que sa mère n’allait pas se remettre des sentiments non réciproques du jeune Gaby LOUP et son père contracta une infection testiculaire due au shoot droit de Barbara CHIEN.
Suite à ces malheurs, Tristan faillit revenir sur ce testament mais il se ravisa et s’accrocha à cette situation comme à une vengeance prémonitoire.
Épitaphe:
Ci-gît RENARD entre CHIEN et LOUP, vous qui passez par là ne vous attardez pas, mais méfiez vous pékin, l’œil est dans la tombe et regarde chacun.

11 février 2019 – Nouvelles – Marie Batllo.

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