Entre chien et loup
(Voilà ce que peut produire un déclencheur d’écriture)
Entre chien et loup
Un jour de profonde solitude tu décidas d’acheter une concession funéraire de 3 places au cimetière du village de St Martin. Tu étais né à Malay dans une salle de l’ancien hôpital transformé aujourd’hui en maison de vieillesse. Tu avais vu tes vieux y mourir dans d’atroces agonies et tu t’étais juré de te tirer un coup de fusil plutôt que pourrir dans cet endroit puant l’excrément putride sous couvert d’un parfum dit floral.
La décision n’était pas ton fort c’est ainsi que tu vivras seul à la mort de tes parents. Tu avais fait quelques touches au temps de ta jeunesse mais les filles de ces années là s’inventaient des mondes en fuite au plus vite du giron parental. Pour avoir pesé le pour et le contre trop longtemps, elles étaient déjà épousées, mères de famille et redevenues corvéables à merci.
Fils unique, la transmission des biens fut d’une limpidité d’eau de source. Tu repris la ferme familiale au grand bonheur du pater qui remercia « St Germain des Bois » chaque jour, du soir aux aurores quand la nuit confondait le jour d’outrage aux bonnes heures.
Ta mère avait eu d’autres prétentions pour toi.
Un été, elle avait eu un béguin pour un jeune facteur en remplacement du Dédé alors qu’elle était à l’apogée de la fleur de l’âge. Tous les matins vers 10h30, les jappements du chien complice, annonçaient sa venue. Les sens en émoi, elle s’empressait de sortir du logis, l’air de rien, guillerette bien consciente qu’elle n’aurait plus guère l’occasion de flirter avec un aussi joli garçon. Le rose aux joues du messager veloutait ses pommettes qu’elle rêvait de caresser du revers de son index. Il faut dire que la côte était raide, il fallait un sacré coup de pédale pour arriver jusqu’au porche de la ferme. Le jeune homme, pas dupe se fendait d’un gentil compliment, d’une blague coquine prenant bien soin de marquer un arrêt furtif pour mieux faire demi tour laissant là, madame le feu au bas ventre et des étoiles au cœur. Elle n’avait plus que ce mot à la bouche « le facteur », le p’tit facteur, qu’est ce qu’il est gentil et aimable avec ça, ça nous change du Dédé…!
Les
turpitudes de ta mère ne t’intéressaient guère pas plus que celles
de ton père.
Facteur, pff, ton père estimait que c’était un
métier de peu de noblesse. Comment pouvait-il imaginer le goût
soudain de ta mère pour les PTT, « Petit Travail Tranquille »,
plaisantaient les hommes, les vrais, ivres de leurs
certitudes.
Enfin, en septembre, le train train reprit ses droits,
le Dédé sa tournée, ta mère ses tâches quotidiennes comme si
cette parenthèse enchantée n’avait pas eu d’existence pourtant,
c’est ce qui la fit tenir jusqu’au chevet de sa vie. Il y eut
cependant un moment où ta mère disparut, tu ne saurais dire combien
de temps et pourquoi. Une aide ménagère vint la remplacer mais
attention en tout bien tout honneur. Le vieux lui aurait bien fait
son affaire mais la jeune fille qui n’était pas née de la dernière
pluie eut vite fait de le rembarrer à l’aide de mots simples
accompagnés d’un shoot droit bien précis dont le vieux se souvint
longtemps. Ta mère réapparut comme si elle était partie la veille.
Il te sembla que ses traits s’étaient figés, son regard fixait le
vide sans jamais s’accrocher, sauf à la pendule. Chaque matin elle
vérifiait la synchronisation de l’horloge parlante avec le vieux
coucou, même pour quelques secondes inlassablement elle corrigea
l’avance tant qu’elle put grimper sur une chaise. Quand l’arthrose
commença à s’immiscer dans ses articulations, elle agitait
ses doigts dans des borborygmes indicibles, son cerveau avait fui
quelque part dans des sacoches aux plis timbrés.
Tu fis ton
apprentissage à la ferme en alternance avec le lycée agricole,
ensuite ton père t’engagea comme commis. Il y avait belle lurette
que tu connaissais le travail, tu n’avais pas eu le choix. Dés le
plus jeune âge, les garçons devaient participer aux travaux de la
ferme, le matin avant l’école, les vacances scolaires, il fallait
s’exécuter sans broncher, le père avait le ceinturon facile.
Les
saisons, les années passèrent avec la même régularité, tantôt
bonnes, tantôt mauvaises le plus souvent moyennes. Vie simple, joie
simple, tristesse convenue.
A tes 60 ans, ton père était mort 5
ans auparavant, aujourd’hui c’est ta mère qui s’était vautrée dans
cette terre de peu de reconnaissance.
Les condoléances furent
brèves, c’est le pas lourd que tu revins à la ferme. Ta carcasse
tomba assis sur le billot de bois, les pieds dans la sciure comme
tétanisé par une fulgurance à peine audible à l’entendement.
Tu
avais aimé la terre, l’odeur du blé, le p’tit gris du père
Thévenot qui faisait oublié les dimanches soirs sinistres, la soupe
au lait, les cerisiers en fleurs, les orages d’été, les mottes de
terre luisantes des labours, les petits matins brumeux, le labeur qui
remplit le devoir d’accomplissement pour une chiche vie, tu avais
aimé tout celà.
C’est simple, tu avais fermé les yeux vers 18
ans, tu les avais ouverts, là, maintenant assis sur le
billot.
L’éveil était rude, tu savais que l’horloge de la
cuisine ingrate continuait inexorablement à tricoter le temps, que
le chat attendait sa pâtée, qu’il fallait continuer à se nourrir,
à dormir à se lever, se laver, s’habiller, se dévêtir et
cette terre, cette terre, sans relâche…..non, tu ne pouvais
plus…
« terre ouvres toi, terre fends toi, entends ma voix
et engloutis moi…. »
Plus jamais, tu n’entras dans la ferme.
Tu vivais de peu, entre les granges, le cellier
plein à
craquer de conserves diverses que ta mère avait cuisinées, de
quelques bestioles qui passaient à ta portée…les chats s’étaient
multipliés, la plupart étaient malades, souffreteux…
Le maire
avait essayé d’intervenir, alerté par ses deux voisins les plus
proches…
Rien n’y fit !
Les voisins, des vautours, oui, qui
n’avaient en vue que tes terres en friche. Ton humeur de plus en plus
sombre s’abandonnait à une paranoïa maladive.
Ton fusil ne te
quittait plus.
Un soir de trop de piquette, tu te rendis chez tes
voisins, l’un après l’autre tu les tuas d’une seule cartouche en
pleine tête, le devoir accompli, tu revins à la ferme et tu
retournas le fusil contre toi.
Quand on retrouva ton corps, la
moitié de ton visage était déchiré, des morceaux de cervelle
s’étaient racornis sous le soleil et on a dû chasser les mouches,
les chats qui léchouillaient l’intérieur de ta tête, la vermine
grouillait affairée comme un grand jour de banquet.
L’histoire
fut grand bruit.
Le notaire convoqua le maire, quelques
administrés, le capitaine de gendarmerie et les pompes
funèbres.
Solennellement il lut :
En l’absence de Barbara
CHIEN et de Gaby LOUP ne désirant pas assister à l’ouverture du
testament, je vous fais part de la décision des nommés ci
dessous…
Nous, soussignés, Philémon CHIEN, Tristan RENARD et
Jean LOUP avons décidé d’un commun accord d’acquérir une
concession funéraire de 3 places au cimetière de Malay, allée 3,
emplacement 6.
A notre mort il est impératif de respecter
cet ordre dans le caveau, RENARD entre CHIEN et LOUP, CHIEN au plus
profond, RENARD au milieu et LOUP au
dessus.
Blablabla….
Abasourdie, l’assemblée s’étonna alors
de cette violence invraisemblable.
C’est alors que
j’intervins.
Tristan RENARD avait convaincu ses voisins veufs dont
les épouses s’étaient faites incinérées, de se réunir dans la
mort. Ce qu’il ne leur avait pas dit c’est que ça l’amusait beaucoup
cette position horizontale, entre chien et loup, rusé et cinglé le
Tristan.
Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que sa mère
n’allait pas se remettre des sentiments non réciproques du jeune
Gaby LOUP et son père contracta une infection testiculaire due au
shoot droit de Barbara CHIEN.
Suite à ces malheurs, Tristan
faillit revenir sur ce testament mais il se ravisa et s’accrocha à
cette situation comme à une vengeance prémonitoire.
Épitaphe:
Ci-gît
RENARD entre CHIEN et LOUP, vous qui passez par là ne vous attardez
pas, mais méfiez vous pékin, l’œil est dans la tombe et regarde
chacun.
11 février 2019 – Nouvelles – Marie Batllo.