(Prix spécial du Jury Orteil d’Or 2018) Un dimanche de mai 

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27 / 06 / 2018
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Un dimanche de mai  (Prix spécial du Jury Orteil d’Or 2018)

Il n’avait pas l’habitude de se trouver si tôt dans les rues d’Auxerre. Il détestait les aurores. Quand le réveil sonnait, il avait souvent la nausée. Ouvrir les yeux était une punition, se lever un supplice. Un de ses plus grand plaisir était, le week-end, d’entendre sonner le réveil, de l’éteindre et de se rendormir après avoir mis la main sur sa fesse.

Ce dimanche-là, pourtant, il avait su en ouvrant les yeux dans le noir qu’il ne pourrait plus les fermer. Alors il s’était levé sans bruit, avait enfilé ses vêtements de la veille, ils traînaient encore devant la baignoire et était sorti faire quelques pas sur les quais.

La lueur du jour naissant donnait aux quais d’Auxerre une atmosphère inhabituelle. A moins que…? Son attention s’éveilla. Non, ce n’était pas la lumière. Quelque chose avait vraiment changé mais quoi ?

Tout était calme autour de lui. Il faisait frais encore mais ce serait certainement une belle journée de mai. Juste à côté de lui, un chèvrefeuille imposant s’étalait sur tout le mur du parking. Il inspira pour se délecter de l’odeur si particulière qu’il aimait tant. Rien. Il essaya une deuxième fois sans plus de succès. Il ressenti un pincement au cœur, une pointe de déception. Il regarda le chèvrefeuille avec reproche et continua son chemin, traversa la rue pour se rapprocher de l’eau. L’odeur de la rosée sur la pelouse, les effluves vaporeuses de la brume sur la rivière, il ne les discerna pas. Ne vint jusqu’à lui que de vagues relents azoté de la vase en décomposition. Il détourna la tête. Le jour s’avançait, il faisait clair à présent. L’impression d’étrangeté du matin lui revint encore plus forte. Pas un nuage n’était visible et pourtant, les couleurs étaient fades, la pelouse n’était pas vraiment verte mais plutôt vert de gris, les rouges des péniches tiraient sur le marron, le ciel lui-même était terne, bleu mais un bleu sali, usé, fatigué. Même les gens autour de lui semblaient s’être donné le mot. Ils portaient tous des vêtements sombres, pas d’orange, de rose, de jaune, non : d’infinies variations de gris. Il aperçut un collègue quelques mètres plus loin, lui fit signe de la main. Le gars, s’arrêta, le regarda avec attention, s’approcha pour lui serrer la main mais il ne compris pas ce qui se passa ensuite. A environ deux mètres de lui, ses gestes se ralentirent. Il vit une main s’approcher de la sienne mais millimètres par millimètre, comme si elle éprouvait une résistance. Perturbé par l’étrangeté du phénomène, il ne sentit pas le contact de la main dans la sienne. Son collègue ouvrit la bouche mais ses paroles étaient déformées et étouffées. Il ne sut quoi répondre à ce qu’il n’avait pas deviné. Son collègue s’éloigna de lui. D’apport au ralenti puis quand il se fut éloigné, à un rythme redevenu normal. Il avait la sensation de marcher enveloppé à l’intérieur d’une matière étrange que personne ne voyait. Il tendit l’oreille. Un petit groupe d’enfant jouaient déjà dans la fontaine. Il ne les entendait pas. Des voitures passaient à coté de lui, presque sans un bruit. Décidément, il était dans une bulle. Elle absorbait les odeurs, les bruits, les couleurs, les contacts. Il se sentit prisonnier d’une chose qui le dépassait. Il balaya cette idée. Il était mal réveillé, c’était certainement cela.

Arrivé au pont, il traversa de nouveau pour arriver sur la terrasse de son bar préféré. Seuls deux matinaux occupaient la place, les yeux dans le vague. Il s’installa. Le patron sortit tout de suite. Il eut un moment d’appréhension en commandant un café et un croissant. Il força la voix pour être sûr d’être entendu. Le patron lui fit signe de la tête et lui posa sa commande devant lui quelques minutes après.

Il avait tout pour passer un moment parfait. Une belle matinée de printemps, un café bien serré et le meilleur croissant de la ville. Il porta sa tasse à sa bouche. Son café ne sentait rien. En bouche, il eut une sensation de chaleur très vite passée mais pas plus d’arôme que s’il avait bu de l’eau chaude. Il regarda l’assiette de viennoiseries. Il n’avait pas spécialement faim, il était encore un peu tôt pour lui mais il adorait ces croissants. Il porta donc la pointe à sa bouche. Il avala sans s’en rendre compte. Aucun goût. Il le reposa, contrarié, inquiet.

Le soleil était maintenant haut dans le ciel. Il devait la prévenir. Si elle se réveillait et ne le trouvait pas à ses côtés, elle allait s’inquiéter. A l’imaginer au lit, les cheveux en bataille, les yeux à demi ouverts, la mine froissée qu’elle avait au réveil, il sourit. Elle allait le rejoindre et elle ranimerait le printemps avec son rire. Il sortit son téléphone portable. Au moment où il entendit sa voix fraîche sur le répondeur, la douleur le rattrapa. Comme un pieu enfoncé dans son cœur. Il se tint haletant se tenant à la table pour ne pas tomber. Il se souvint d’elle le visage las dans ses draps blancs. Elle lui avait murmuré « Il te faudra vivre sans moi ». Il n’aurait pas pensé que ce fût possible. Que ce serait si dur.

Laure Timon

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