Orteil d’Or 2018 Dis donc Dick !

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27 / 06 / 2018
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 Dis donc Dick ! (Orteil d’Or 2018 et deuxième ex-æquo du prix des lecteurs)

Un matin d’août 2020, Bébert s’éveilla tout chiffonné avec un arrière-goût de rosée de chagrin.

Sous l’arche du pont Paul Bert, côté rive gauche à Auxerre, il avait installé son pied à terre estival.

Bébert avait une certaine inclinaison pour l’aménagement des espaces, il avait été vendeur chez IKEA.

Il plia le carton lui servant de matelas, mais attention soigneusement, en conservant les pliures initiales. Il enroula son duvet sur l’envers non sans l’avoir secoué jusqu’à ce qu’il estime avoir anéanti les senteurs de pieds, de sébum, de sueur, d’aisselles, de pets, d’organes génitaux en tous genres…la séance pouvait durer de dix à trente minutes selon son niveau d’éveil. Celui-ci dépendant du breuvage ingurgité la veille.

C’était toujours exactement à ce moment que « Dick » son compagnon né du fruit, du sort et du hasard, se réveillait dans un bâillement fétide et sonore. Et comme tous les matins, Bébert en guise de bonjour lui lançait:  « Dis donc Dick » en imitant la sirène d’une ambulance.

Ce matin-là une lueur spéciale vaporisait la ville en éveil, sous l’arche du pont l’écho renvoya : -« kcid cnod sid »-

Bébert sidéré eut un doute, les effluves du picrate de la veille feraient-ils encore effet ? Il tenta : « hou, hou »

L’écho répondit : »ouh, ouh »

Ce qui ne l’aida guère car hou, hou, où ouh, ouh, il fallait avoir l’ouie sacrément affûtée  pour percevoir la différence. Il haussa une épaule après l’autre et reprit son rangement. Il empila les cartons, le duvet, un coussin dont la couleur prise d’un doute indéfinissable se mariait parfaitement avec la couleur de l’Yonne.

Comme tout mammifère normalement constitué dès le levé, Dick fut pris d’une envie pressante. Par pudeur, il se soulagea derrière la pile du pont alors que Bébert pissait allègrement dans la rivière en sifflotant, le regard embué d’un ailleurs provençal étoilé. Tout à coup, alors qu’il se renculottait, stupéfait, il vit son urine se dirigeait en amont de l’onde saumâtre. Il recula interdit et tomba sur le cul.

Dick hurla à la mort puis son aboiement sembla disparaître comme étouffé, lointain.

Soudain, un vent violent s’engouffra sous l’arche emportant Bébert et son barda. Il tenta de s’agripper aux branches des arbustes en vain. Bébert impuissant finit par se laisser faire et s’abandonna à la puissance éolienne. Il doubla Dick et cria joyeusement : « Dis donc Dick, dis donc Dick »

Tout compte fait, c’était plutôt agréable cette petite croisière volatile. Il flottait. Pourtant la flotte c’était pas sa spécialité. Dick aussi paraissait heureux, la truffe en trompette, les babines retroussées, les oreilles ondulant au gré du mouvement de l’air.

Pour la première fois de sa vie Bébert se sentit léger, léger au point d’oublier son corps prisonnier d’abus et de manque de tout. Il effleurait la surface de l’eau de ricochets en ricochets. Il remontait le cours d’eau et ses méandres, obéissant comme le courant icaunais contrarié de cet étrange matin inspiré d’un vent contraire. Une carpe centenaire qui paressait au milieu des roseaux fit un saut de mauvaise humeur dérangée dans sa langueur matinale et gueula : – « Carpe-diem, bordel ! »-

Une escadrille de canards tenta de résister. L’envergure d’un canard étant ce qu’elle est, les gallinacés firent un piqué kamikaze avec salto arrière et rétropédalage palmé regrettant leur insolence volage.

Une carcasse de voiture se déplaçait de tête à queue en tête à queue dans un bruit crissant de ferraille rouillée. Au volant, un squelette au sourire heureux, béat de cette balade inespérée semblait dire :  » vous me cherchiez ? J’étais là,  ah, ah, ah! « 

Il se disloqua, le sourire resta en suspend un instant et s’évanouit, emporté à la vitesse du mur du son. Un souffle dément éjecta Bébert dans une tourbière puante, au milieu de nulle part.Il eut du mal à s’en extraire.

Le vent avait cessé pourtant un tourbillon entraînait une colonne d’eau démentielle d’une hauteur infinie. Une voix grondait :  » Je ne rebrousserais pas chemin si on reconnaît pas que c’est moi, l’Yonne, le fleuve qui traverse Paris et je te choisis toi, Bébert pour transmettre le message ! -« 

– » Moi, mais pourquoi moi ? J’y suis, ça y est, délirium-trémens, on m’avait prévenu, Bacchus pitié, délivre moi de tes effluves « – La voix continua, sourde – » tu es l’élu, Bébert, tel Moïse écartant les eaux. Je te suivrais dans mon lit jusqu’à ta demeure à Auxerre et je triompherai, voilà c’est ton heure de gloire, saisis-la »-  ! Bébert, ivre de foi, prit la tête d’un étrange cortège.

Au milieu du lit asséché de l’Yonne, Bébert tête haute, suivi de son barda, de Dick et de l’eau toute en retenue, s’avançait lentement. Bébert savourait le moment.

À hauteur du batardeau, il s’arrêta, recueilli, auréolé de vairons joyeux, ailés pour la circonstance.

Une brise l’enveloppa, le souleva, détrôna la statue de Paul Bert et y plaça Bébert. Bébert, le bras droit tendu indiquant la direction de Paris, son barda et à ses pieds Dick.
Hic

Marie Batllo

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