MOMO

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27 / 06 / 2018
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 MOMO

Il avait été réveillé en sursaut. Quelque chose avait changé. Momo avait écarquillé les yeux, malgré des paupières lourdes et gonflées.

La veille il avait encore abusé.

Il y avait longtemps qu’il n’était plus raisonnable.

Dès la fin des gelées il avait quitté le foyer d’accueil en zone industrielle pour dormir à la belle étoile. Il changeait souvent de place, pour ne pas se faire embêter par la brigade. Et puis il redoutait ses anciens amis dont les bonnes intentions le fatiguaient plus que le froid, la pluie ou la faim. Il gardait aussi ses distances avec les autres SDF, n’aimant pas se battre et il tenait à son violon. Il aimait en jouer tous les jours, et parfois en duo avec un gars qui venait avec une guitare. Lorsqu’il se postait dans une zone à touristes, il récupérait quelques pièces qu’il allait boire au pub avec des motards hirsutes au milieu desquels il passait inaperçu.

Il regardait le ciel lisse en ce matin de printemps et cela le mettait mal à l’aise car, né au bord de l’océan, il préférait les ciel pommelés que changeaient les vents humides. Il s’extirpa de sa pile de cartons, repoussa le duvet raide de crasse, se leva et alla inspecter la rivière tout en s’étirant. Le niveau avait drôlement baissé à en voir les traces sur les piles du pont. On commençait à voir des herbes apparaître. Il ricana qu’un de ces jours il verrait passer un caïman. Mais la planète n’en était pas encore là et sa hantise était surtout le délirium qui le conduirait automatiquement à l’hôpital. Pour l’instant il voyait des cygnes acariâtres plonger leur cou dans l’eau brune. Aurait-il un jour le courage de les suivre, de se laisser aller dans le courant glacé?

Momo ne savait pas pourquoi on lui avait donné ce surnom. Toute la ville l’appelait ainsi,, on savait qu’il était inoffensif, et lorsqu’il faisait la manche devant la boulangerie de la rue du Pont, on lui filait volontiers quelques viennoiseries passées et le marchand de primeurs, des fruits abîmés mais encore comestibles. C’était peut-être parce-qu’il avait repris la chambre du vrai Momo reparti au bled ? On ne posait pas beaucoup de questions d’identité au Sonacotra : la couleur de sa peau tannée par la vie au grand air et sa tignasse noire donnaient l’illusion qu’il était d’ailleurs. Ses parents l’avaient appelé Quentin, mais il détestait ce prénom aux intonations abruptes qu’on donne volontiers aux aînés que l’on veut forts. Aussi sa famille d’accueil l’avait nommé Quinquin, et cela l’avait suivi jusqu’à l’école de foot. Le prof d’EPS l’y avait poussé, comme ça il ferait moins de conneries après l’école. Mais dès la fin du collège il avait compris qu’il n’aurait plus envie de courir derrière un ballon tous les jours et il avait dit à la psychologue scolaire qu’il voulait apprendre un métier et la musique.

Elle avait ouvert des yeux déjà ronds derrière ses lunettes de myope, mais elle le fit inscrire dans la filière bois et marqueterie au centre de formation des apprentis, et aux cours de solfège avec option instrument à cordes de la MJC payés par le service social, et cela lui avait plu.

Il chargea sur ses épaules le lourd sac qui contenait toute sa fortune, et l’étui du violon sous le bras il se dirigea vers le stade en longeant l’eau, un parcours qu’il refusait depuis longtemps. Le long les tribunes il remarqua les caractères chinois étalés tout le long et il se redit que quelque chose avait changé. Des jeunes s’entraînaient sur les terrains annexes et un ballon vint s’échouer à ses pieds. Instinctivement il prit la balle au pied, jongla avec elle puis l’expédia adroitement par dessus le grillage d’une belle frappe précise. Il s’éloigna lentement sans faire attention au «Wesh, t’as vu le clodo avec son pied gauche?»

Comme chaque jour, il pensa à Nicole. Quand il l’avait vu pour la première fois au CFA., prof d’arts plastiques, elle l’avait immédiatement subjugué par son allure, ses traits purs et sa façon de le regarder. C’était la première fois qu’il tombait amoureux. La différence d’âge et la timidité eurent été un trop grand obstacle, mais Nicole eut besoin d’une garde pour ses jeunes enfants et il s’était porté volontaire. Il s’entendait bien avec les enfants, il savait s’en occuper. Elle était divorcée, ils devinrent amants. Puis ce fut l’été, les enfants partirent chez leur père, Nicole chez ses parents. A la rentrée scolaire, on apprit à Quentin qu’elle avait quitté l’établissement, qu’elle avait déménagé. Il ne se rappelle pas combien de temps il était resté prostré, sans être capable de retourner en cours. Bientôt il fut renvoyé sans avoir finit son apprentissage et ce fut le début de sa descente aux enfers. Puis le temps passa. Il y survécut.

Sur le pont de chemin de fer désaffecté, il vit l’écriteau sur le bâtiment ultramoderne juste construit rive droite. Ouverture d’un Burger Queen, recherchons serveurs. Le recruteur l’avait dévisagé, soupçonneux, ses vêtements récupérés au Secours Populaire ne payaient pas de mine. Mais bon, d’accord, il allait faire un essai d’une semaine. En sortant, il tomba sur l’immeuble du Conservatoire de Musique, juste en face. Un cursus de violon, oui c’était possible, avait dit en souriant la secrétaire. Quelque chose avait vraiment changé.

Didier Laurens

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