Le Tire-bouchon
Le tire-bouchon
Je le lui avais offert parce qu’il était beau, et surtout facile à utiliser. Il suffisait de tourner toujours dans le même sens, sans aucun effort, et une petite bille rouge descendait dans sa fenêtre avant de remonter avec le bouchon. C’était doux et fluide.
Nous l’emmenions partout dans nos escapades, avec des verres à pied et une bonne bouteille, et chacun de nos repas champêtres avait la solennité d’une cérémonie.
Un jour, sa magie cessa, il ne fonctionnait plus. Nous nous sommes aperçus qu’il lui manquait un écrou particulier, qui avait dû tomber lors de notre dernier pique-nique, dans cet endroit magnifique perché au-dessus d’un village.
J’insistai pour que nous retournions le chercher, un jour prochain.
En effet, nous y sommes retournés, mais ce n’était plus l’été, et nous eûmes du mal à retrouver l’endroit précis. Nous reconnûmes d’abord l’endroit où nous avions fait l’amour, à deux pas du chemin, puis la pierre sur laquelle nous avions posé la bouteille.
Nous tâtonnâmes un moment dans cet endroit sans trop y croire. Elle voulait partir, mais je m’obstinais. Je dus me rendre à l’évidence, nous ne retrouverions pas l’écrou égaré.
De retourner en cet endroit, que nous avions connu fleuri et ensoleillé, à présent glacial et parsemé de traces de neige, de redécouvrir le village en bas, triste, silencieux et fermé, bien loin de cette aquarelle lumineuse que nous avions admirée, de comprendre que cet objet ne serait jamais retrouvé, je ressentis soudain un sentiment de perte bien plus grand : celui des belles amours.
En effet, quelque temps après, nous nous séparions. Aucun rapport avec le tire-bouchon, elle s’en acheta un autre, tout aussi pratique, mais c’est à cet instant que j’eus l’intuition que tout serait bientôt fini entre nous, alors que rien encore ne l’indiquait. Le temps des choses douces et fluides s’en était allé, et même le vin n’aurait plus le même goût.
08 mai 2018 – Textes courts – Jean Marie Tremblay