Cure-dents

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24 / 10 / 2017
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Cure-dents

Aussi courte et affûtée soit-elle, une telle consigne ne manque pas de piquant, et, à défaut de se curer nonchalamment les dents en quête d’inspiration, il pourrait peut-être être opportun de se triturer les méninges pour essayer d’en faire sortir quelque chose…

A « génération sacrifiée », rien d’impossible ! Et, à tout bon cure-dents, rien ne résiste !

Ce petit objet sans prétention peut vous ôter une épine du pied en maintes situations délicates, et, s’il eût été inventé au XXème ou XXIème siècles, nul doute qu’il eût alors été primé au prestigieux Concours L’Epine…

Mais voilà : l’objet du délit n’est plus tout jeune et des fouilles approfondies menées au fil du temps ont fait remonter, parmi des tas de vieux débris, son existence et son usage, du fin fond de la Préhistoire.

Durant le Néolithique, entravé dans sa marche et son évolution par les racines d’arbustes qu’il utilisait jusqu’alors pour les petits besoins de son hygiène buccale, l’Homo Sapiens évolué se creusa abondamment la citrouille pour en faire sortir cet objet singulier qui devait dès lors traverser les époques sans grand changement.

Les premiers cure-dents furent tout d’abord en bois.

Mais, trop fragiles pour aller dénicher les restes de mammouths, d’aurochs, d’ours, de rennes, de bœufs, phacochères ou autre trop bonnes chairs braisées restées coincées dans l’antre mandibulaire, ils furent bientôt fabriqués en os, toutes ces terribles bêtes fournissant abondamment la matière première, équarrie, taillée, polie sous toutes ses formes.

Tant et si bien que ces petits objets furent rapidement détournés de leur fonction première par les coquettes de ces lointaines contrées, les utilisant de façon pragmatique pour aller à la chasse aux poux et autres vermines dans leurs chevelures hirsutes…

Un jour, l’une d’elles oublia le dit objet qui resta accroché dans sa tète, au grand bonheur de ses congénères qui voulurent toutes en faire autant : la première pince à cheveux était née !

A l’âge de bronze, ça va de soi, le bronze remplaça l’os, puis ce fut le tour de l’argent, et même de l’or, façon très élégante de marquer sa condition sociale et de montrer ostensiblement qu’on avait quelque chose à se mettre sous la dent…

A force de pillages et de curages, l’or se fit plus rare, et l’on revint progressivement au bois, d’autant que le travail de ce dernier se trouva fortement facilité avec le développement de la mécanisation…

Les steaks-hachés et croque-monsieurs ayant définitivement pris le pas sur les cuissots d’ours et d’aurochs, l’aspect chétif et fragile du cure-dent en bois cessa dès lors d’être un obstacle.

On entreprit sa fabrication en série, en louant largement ses mérites, et l’on se mit communément à en voir dans toutes les bonnes maisons et sur toutes les bonnes tables.

Sa démocratisation subite était devenue signe d’émancipation et de libération des mœurs…

Dès lors, son usage vint à s’étendre à de multiples fonctions annexes, à quelques variantes près, aussi surprenantes que diversifiées et parfois quelque peu incongrues : cure-oreilles, cure-ongles, cure-pipes, cure-olives, cure-fromage ou petites saucisses, voire cure-nez (en cours d’homologation.), cure-cuma ou cure-ton…

A l’ère du « tout loisir », une boite de cure-dents peut faire, à moindre coût, office de jeu de Mikado, ou, si vous préférez faire les choses en grand, vous pouvez toujours tenter votre chance et tenter de battre le record du monde du nombre de cure-dents utilisés pour construire une maquette, de l’ordre de 25000 ! Dans ce cas, prévoir de changer votre meuble de salle à manger pour les stocker…

Et, si vous voulez faire avancer la recherche archéologique, vous pouvez encore vous adonner à votre passion à l’aide de cet indispensable instrument, permettant ainsi à l’Humanité de découvrir et mettre à jour d’inestimables trésors…

Alors, penserez-vous, ce bel objet, qui a su résister au XXème siècle à l’Invasion intrusive du « tout plastique » a encore, certainement, et pour longtemps, de beaux jours devant lui…

Rien n’est moins sûr !

En ce monde incertain où les fondements même de la civilisation sont chaque jour un peu plus remis en question, on parle de l’arrivée imminente du cure-dents électronique, à empreinte buccale et remodelage orthodontique, moins encombrant et plus performant que la brosse électrique, avant l’avènement terminal de la puce expulseuse supersonique à vibrations d’ultra-sons harmoniques désintégrateurs de pollutions en tout genre et particules fines…

10 octobre 2017 – Textes courts – Louis Mancy

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