La fleur au fusil

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28 / 06 / 2017
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Orteil d’Or 2017 La fleur au fusil

Le 5 octobre

Mon bien aimé Hubert, voilà déjà trois mois que tu es parti. Tu m’avais dit que cette guerre ne durerait pas lorsque tu as pris le train pour Paris. Que vous ne tarderiez pas à mettre tous ces infâmes allemands dehors. L’automne est là et je ne sais même pas où tu es. La vigne est vendangée mais tu n’est pas là pour faire le vin. Le soir quand je vois ta petite lettre sur le buffet je suis moins lasse. Je me souviens quand mon ventre était gros et que tu le caressais pour calmer les petits coups de pied de l’enfant. Le petit Rémy a maintenant quatre mois. Il va bien, il tête de toutes ses forces et prend du poids. Je t’embrasse fort sur ta bouche, vivement que nous soyons réunis. Ton Aurélie pour toujours.

Le 15 octobre

Ma chérie, mon amour, je suis si malheureux d’être parti de chez nous. Nous marchons avec notre lourde capote dès l’aube des jours entiers sans savoir où nous allons. Nous serons bientôt peut-être couchés dans des tranchées dans l’eau et le froid et la boue sous le feu. Heureusement penser à toi me donne de la force pour affronter la mort. Je me souviens des derniers jours et surtout des nuits avant mon départ. Ma beauté que j’ai serrée, caressée, adorée, possédée, je t’embrasse bien fort sur tes lèvres, tes yeux, ton cou. Ton petit homme.

Le 5 décembre

Cher Hubert, l’hiver est déjà presque là et tu es toujours loin de moi. C’est dur et c’est long d’être séparés. Je ne cesse de travailler sauf lorsqu’il fait trop froid. Tu dois grelotter et j’ai peur que tu ne tombes malade. J’espère que tu as reçu ton dernier colis avec l’anchaud de porc, le miel et la petite bouteille d’eau de vie pour te réchauffer. Je vais me coucher sous l’édredon bien chaud et je pense à toi qui est peut-être dehors sous la pluie. Je regarde la lune et je me dis que tu dois la voir aussi. Mes meilleurs caresses et mes plus tendres pensées. Ta femme toute à toi.

Le 21 décembre Ma petite femme chérie, je suis en bonne santé, ne t’inquiètes pas. Le capitaine est vachard et m’enlève tout goût pour la guerre. Il me dit qu’un poilu ne doit pas s’ennuyer lorsqu’il a une femme, un enfant qui pensent à lui au pays et qu’il ne faut avoir qu’une idée en tête, chasser les boches. J’espère que tout cela ne va pas trop durer, j’ai l’impression de ne pas t’avoir vue depuis un an. Je voudrais voir mon enfant grandir. Je t’aime ma belle Aurélie.

Le 15 janvier

Mon cher mari, tes lettres me font pleurer et rien ne nous fait prédire la fin de cette maudite guerre. L’oncle voulait gérer la correspondance de notre amour, il trouvait que de t’écrire une fois par semaine c’était bien assez, je suis libre de t’écrire tant qu’il me plaira, c’est toi que je veux, c’est toi que j’aime. Mille grosses caresses de ta femme.

Le 15 avril Mon cher Hubert, je n’ai pas reçu de lettre de toi depuis longtemps. Je m’inquiète. Si tu étais malade ou blessé je le saurais déjà. Notre petit Rémy est un vrai petit diable. Maintenant il fait des sottises. J’espère que tu as reçu sa photo où il est si drôle. L’autre jour je lui ai montré celle son papa et je crois bien qu’il a prononcé ton nom. Il ne sait pas qu’il est si loin ce papa. Je t’envoie une mèche de ses cheveux. Je lui ai acheté des petites galoches et il trotte en n’arrêtant pas de babiller. J’attends avec impatience le grand jour de ton retour.

Le 5 mai Ma chère Aurélie, il y a du changement, le capitaine m’a attribué la responsabilité d’une pièce de batterie, un canon de soixante quinze, cela ne te dit rien petite femme mais c’est un bel outil qui peut tirer un coup toutes les six secondes avec une portée de six kilomètres. J’ai à mon service cinq soldats pour me servir et six chevaux pour déplacer le matériel. Tu connais mon goût pour la mécanique. J’en ai aussi pour l’artillerie. Il se trouve que je n’ai pas mon pareil pour régler la hausse. Le colonel m’a félicité et m’a dit que j’allais participer à un mouvement de troupe. Le courrier a plus de difficultés à arriver. Cette guerre est une course et nous la gagnerons. Je t’embrasse ma fille. Hubert.

Le 15 mai Cher Hubert, j’ai enfin reçu ta lettre et je suis heureuse que tu n’aies plus d’idées noires. Souhaitons que cet acharnement porte ses fruits. Ici aussi il y a du changement. L’oncle n’arrêtait pas de me faire des réflexions et de me bousculer quand je me reposais un peu. J’ai quitté sa maison pour une autre plus petite et en mauvais état mais j’y suis plus tranquille. Il y a des étrangers qui sont arrivés dans le village. Ils viennent prendre la place des nôtres partis se faire casser la figure, drôle de système. L’un d’eux est gentil et m’a proposé de m’aider à la réparer. Je ne comprend rien à son charabia, il viendrait d’Espagne. N’écoutes pas les mensonges qu’on pourrait te dire sur moi. Notre Rémy grandit, penses que tu va retrouver un petit garçon. Je n’aime que toi sans partage. Je ne souhaite que la paix qui nous réunira. Ton Aurélie.

Le 1er juillet

Madame, le Ministre de la Guerre vous fait part de la mort glorieuse pour la France de votre mari Hubert. Il s’est effondré sous la mitraille en chargeant l’ennemi avec courage. Il a été décoré de la Légion d’Honneur. Le petit Rémy sera un Pupille de notre fière Nation. Ci-joint sa dernière lettre trouvée sur lui.

Le 20 juin. Ma chère femme, je n’aime pas que tu te fasses aider par cet espagnol. Tu ferais mieux de t’en éloigner. J’ai une terrible nouvelle, le Louis est mort sous mes yeux décapité par des shrapnels. Il y avait des lambeaux de chair partout. Je n’ai de cesse de le venger. Une haine terrible s’est emparée de moi. Vivre pour tuer. Jour après jour, je pilonne la position ennemie. Mais ces maudits caques prussiens restent debout.

Encore raté.

Didier Laurens

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