24 heures in utéro
24 heures « in utero »
Cela allait être le voyage le plus extraordinaire de ma vie !
J’en avais parcouru des chemins, des familiers et des lointains, des sublimes, des anodins…
J’avais même, parfois, pour une belle, essayé de décrocher la lune !
J’avais, du temps d’un pion sadique, passé un beau dimanche d’avril à devoir disserter, en huit pages, sur « le goudronnage de la voie lactée », et un autre, un peu plus tard, à piocher toute la journée, m’épuisant sur « la culture des petits pois dans le béton armé »…
Mais là, vraiment, ça dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer !
J’avais gagné, à la tombola de la quinzaine commerciale de cette petite localité sans histoires, en allant tout simplement acheter une boite de médicaments contre les maux de tète, le plus extraordinaire des voyages intersidéraux que l’on puisse imaginer : 24 h « in utero»
J’en étais complètement sidéré !
Il ne me restait pas grand-chose de huit années de latin, d’autant que certains domaines n’étaient pas du tout explorés ! Heureusement, les accompagnements de cours de préparation à la naissance étaient passés par là, ouvrant quelques horizons sur une éducation par trop rigide et une culture un peu trop classique pour qu’elle ne soit pas restée longtemps lettre morte…
Non, je n’avais pas rêvé ! J’étais l’heureux gagnant du voyage à remonter le temps le plus extraordinaire qui n’ait jamais existé : 24H dans un utérus !
« Les Visiteurs », à présent, pouvaient bien aller se rhabiller !
A notre époque, plus rien n’étonne. Demain, l’on ira sur Mars comme hier on marchait sur la lune.
On découvre presque chaque jour de nouvelles planètes ou météores dans d’autres galaxies, des fonds-marins abyssaux semblent à portée de main.
Alors, être l’heureux lauréat d’une telle aventure, pensez donc ! Et quelle aventure !
Je vous passerai les détails des préparatifs, longs et précautionneux, avec simulations virtuelles et entraînements intensifs à la clé.
Enfin, le jour tant attendu arriva ! J’étais dans un état d’excitation…
Pour atteindre l’utérus, une seule voie d’accès naturelle, étroite et resserrée, qu’il convient de remonter lentement et le plus délicatement possible, pour ne heurter ni l’âme sensible ni le corps attentionné qui avait bien voulu se prêter au jeu pour m’accueillir en son for intérieur, jusqu’à atteindre, après plusieurs circonvolutions attentives, le mythique col de l’utérus, qui s’il n’était pas fermé ce jour là, me rendrait normalement accès à ma destination finale et première.
Certes, ce chemin, nous l’avons tous déjà emprunté, avec le concours de notre mère, mais dans l’autre sens, et chacun sait que franchir un col dans un sens ou dans l’autre, ce n’est pas la même chose ! Mon vibrant désir de vivre cette folle aventure n’était donc pas dénué d’une certaine appréhension…
Pour faciliter l’intromission, on choisit de part et d’autre et d’un commun accord de procéder par hypnose, dont les effets s’estomperaient dès celle-ci achevée, pour ne rien perdre des sensations de ce fabuleux voyage.
Quand on arrive en pays nouveau, point de triomphalisme. On entre sur la pointe des pieds, on écoute, on tâtonne, on cherche à se repérer, à sentir d’où vient le vent, à vivre l’intensité de l’instant.
Une douce chaleur, communicative, m’envahit. Bercé, serré, adulé de toutes parts, je ne pouvais ouvrir les yeux, mais je voyais bien autrement, toute sensation décuplée, que tout était lié, dans une féerie d’harmonie, d’odeurs et de couleurs, où je goûtais au plaisir unique de vibrer au tempo des palpitations de vie qui m’enserraient, me soulevaient et se fondaient à l’unisson avec les miennes.
Moment d’extase dilatée, sans pensée ni arrière- pensée, seulement interrompue par un fou-rire inattendu de mon hôtesse, vertigineux feu d’artifice intérieur, qui me fit me tordre de rire en écho, pris d’extrêmes convulsions me propulsant dans le sein des seins.
J’avais rejoint ma destinée. La formidable étreinte se desserra, ouvrant sur un vaste monde coloré, musical et chaud, où Je me sentais infiniment bien. Enveloppé, baigné dans un océan de douceur, à la lumière tamisée rouge orange, en apesanteur, libre d’être et en même temps relié à la matrice mère et à la genèse du Monde.
Combien de temps dura le voyage ? Une heure, vingt quatre heures, un an ?
J’avais rejoint l’intemporalité, le nirvana de l’alpha et de l’oméga, du zéro et de l’infini, me sentant à présent prêt à renaître pour une nouvelle vie et tous les matins du Monde…
25 octobre 2016 – Textes courts -Louis MANCY
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