Papa est mort

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
Il a risqué sa vie à vouloir absolument  vieillir.
Mais quelle idée de s’éterniser au lieu de se reposer, peinard, dans le satin  d’un cercueil ciré.

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
Si encore il s’amusait à jouer aux dés, à la marelle de la terre jusqu’au ciel!
Mais quelle idée de regarder la télé ensommeillé et faire fi du prix de l’électricité.

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
J’y pense, la dernière fois que je l’ai vu, il ne pouvait plus marcher.
Hé bien, j’ai du me pencher pour l’embrasser, c’était vraiment exagéré!
Mais quelle idée d’avoir des jambes et de ne plus sauter à cloche pied !

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
Et quelle figure! privée de gencive, de dents et par dessus l’marché de nez.
C’est ça de vouloir maigrir par manque de volonté.
Mais quelle idée de plus pouvoir renifler quand on est enrhumés!

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
Il avait le ventre troué tout ça pour éviter de pousser quand il fallait déféquer.
Mais quelle idée de péter dans une poche qui pourrait exploser alors qu’il est si doux de chuinter par la voie prévue à cet effet !

Papa est mort, je déambule dans les rues, papa est mort.
Et quand il a décidé de s’envoyer en l’air, il n’a pas manqué d’air, il a arrêté de respirer.
Avec son air de ne pas en avoir l’air, il a quitté les jours d’été.
Mais quelle idée, au point où il en était, il aurait pu attendre que je sois décidée!

Papa es mort.
J’ai peur de traverser la rue.
Mais quelle idée de pleurer
sur un papa sans nez, sans dents, sans gencive, troué du ventre, aux jambes clouées, de vouloir un papa parfait!

Je déambule dans les rues, personne ne sait.

08 juillet 2016- Textes courts – Marie Batllo