La chasse à la Croule

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17 / 05 / 2015
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En théorie : les bécasses émigrent en septembre de chaque année ; leurs itinéraires sinuent au-dessus de la canopée, le soir, vers 21 H. Leur tir au vol est très sportif. Retrouver au sol l’oiseau abattu tout aussi sportif. C’est une chasse de nuit.

Un soir de septembre, nous décidons, mon père et moi, d’aller tenter notre chance.

Munis de quelques cartouches ( du plomb n° 6 suffit largement pour un oiseau un peu plus gros qu’une petite poule d’eau ou une belle perdrix ) et de nos fusils, nous entrons sous les grands sapins, On y voit peu dans ce bois et nous sommes venus en avance : il est 20 h. Les bécasses ont un vol en zig-zag, à la pointe des cimes, il faut se montrer très adroits pour ne pas manquer cet oiseau mordoré au long bec droit, utile pour piquer les vers sur le sol où son mimétisme le protège.

Nous nous postons au bord du ruisseau qui court entre les sapins. Les étoiles s’allument, le soleil est déjà couché . Nous avons prévenu le garde-chasse assermenté de notre présence. C’est notre cousin Georges. Il ne met pratiquement jamais de procès- verbal car , appartenant au conseil municipal, il tient à être réélu et ne veut pas d’histoires ! Les histoires de chasse finissent parfois très mal quand elles s’enveniment !

Nous attendons, silencieux, attentifs. Vers 20H 45, nous repérons les premiers coups de feu tirés au loin par des concurrents placés en amont de nous. Les bécasses sont un gibier délicieux et rare, nous ne sommes pas les seuls à les convoiter. Ma concentration est grande. A l’ouest le ciel offre encore quelques légères lueurs du couchant mais, sous les résineux c’est la nuit noire. Soudain j’entends « CROU OU CROU… » et arrive à la cime du sapin que je vise depuis un moment de la pointe de mon fusil la bécasse désirée ; je devine le vol lourd bien que rapide du gros oiseau zigzaguant. Mes deux coups partent aussitôt…sans résultat hélas ! Et la chasse est finie, le quart d’heure autorisé est terminé. La crosse m’a giflé et secoué l’épaule; l’écho de mon cri n’est pas discret dans la nuit. Georges nous attend:« Alors, bredouilles ?» Bredouilles mais nous avons vu une bécasse. La fameuse CROULE est passée. Nous n’aurons pas besoin d’aller retrouver notre gibier au petit matin. Car la seconde difficulté est là: il faut retrouver l’oiseau abattu, sans chien…c’est pratiquement impossible. Georges nous propose d’aller boire un café, nous sommes contents, nous reviendrons l’année prochaine pour la passée des bécasses à 20H45 précises que d’autres CROU OU CROU annonceront. Cette fois, nous n’accrocherons pas une bécasse par son bec jusqu’à ce qu’elle tombe, faisandée à point ; pas trop, ce serait un crime gastronomique.

Bredouille mais j’ai pris du plaisir à ma chasse à la croule. C’était l’heure où les geais se taisent, les corbeaux regagnent leurs nids, les merles se couchent en sifflant. Un écureuil finit de ronger sa pomme de pin, les premières chouettes s’éveillent et hululent, une souris trotte-menu impossible à voir, les raveux grignotent leur récolte. Est-ce vraiment une chasse ? C’est un bain de ténèbres et de silence, le coup de fusil y est anachronisme et son écho, au loin, indiscrétion..

 17 mai 2015- Fragments – Philippe MONNOT

NB:le mot « croule » désigne le mode de chasse, à la passée, de nuit et non l’oiseau lui-même.

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