J’apprends
Un jour, Charles, jeune écolier d’à peine sept ans, me dit : » C’est dur ce qu’on fait-là, maîtresse ! Comment tu fais pour savoir tout ça ? » Réponse: « Je ne sais pas tout et j’apprends tous les jours quelque chose, comme toi ; j’apprends à te connaître, à mieux t’aider car ton travail d’écolier est difficile ; et toi, tu m’apprends à faire mon métier »
Aujourd’hui Charles est un homme ; si je le rencontrais sur ma route, peut-être me demanderait-il ce que j’apprends encore à mon âge, ce qu’on peut bien apprendre en maison de retraite ! « Eh bien !Vois-tu, Charles, j’apprends ! »
J’apprends la détermination de la jeunesse désireuse d’avoir une place dans la société, dans le monde du travail, sans choisir pour autant la voie de l’argent facile.
J’apprends mon aujourd’hui et la saveur d’un moment de bonheur , je ne les compte plus mes petits bonheurs !
J’apprends mes doigts mal agiles qui peinent à tenir une aiguille mais qui me rendent encore tant de services !
J’apprends dans le regard des autres et j’apprends à regarder tout ce qui vit autour de moi, du plus fragile des êtres jusqu’à l’infini, à contempler la goutte de rosée matinale qui contient toute la lumière du soleil levant.
J’apprends à marcher lentement, en arrachant mes pieds peu dociles à la terre attachante, à marcher dans un espace réduit et pourtant illimité puisque les souvenirs m’emportent vers des lieux merveilleux, mes petits projets vers des nouveautés.
J’apprends à regarder les arbres ; un seul arbre, parfois, est une belle leçon de vie ; j’apprends avec les oiseaux ; j’apprends dans les nuages et le souffle du vent, porteurs de beau temps ou de redoutables orages.
J’apprends que rien n’est laid dans la nature ; « la nature n’est pas responsable des fautes de goût qu’on lui impose ». J’apprends à admirer la « persistance du beau », ce cadeau de la nature .
J’apprends dans le silence envoûtant d’une nuit d’été étoilée, à vivre le silence ; j’apprends la patience, les regrets ou l’ennui, les chagrins et les deuils, les joies prodiguées par ma famille et mes amis ; j’apprends avec eux de nouveaux chemins qui se croisent et se perdent.
J’apprends à regarder sans tristesse les traces du passé sur mon visage, mes cheveux blanchissants , mes mains devenues maladroites, à supporter les oublis de ma mémoire défaillante, les départs, les absences, la longueur des nuits dans l’attente du jour qui tarde à venir.
J’apprends qu’il faut aimer, que le bonheur des autres est aussi mon bonheur .
J’apprends à ne pas avoir peur du temps disponible, à faire des activités que j’aime, à vivre aujourd’hui en marchant sur des sentiers où d’innombrables pas ont marché avant moi.
J’apprends qu’en vieillissant on a le temps et on prend le temps, qu’on ne peut plus revenir en arrière, comme l’eau de la rivière qui ne recule jamais.
J’apprends la collectivité, capricieuse ou docile, accueillante ou distante, étonnante, exigeante parfois.
J’apprends le détachement mais je garde l’essentiel : beaucoup de petits et grands bonheurs qui m’aident à vieillir sans « faire naufrage », la fidélité à ceux que j’aime, la foi en la vie, la valeur de la vieillesse, ses richesses
Voilà, Charles, j’apprends à être vieille !
Avril 2015 – Textes courts – Marité G.