La Perte des Goulettes

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27 / 02 / 2015
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En ce temps-là (environ 73 millions d’années ) la mer jurassique couvrait toute la région parisienne et notre région. Ses vagues chaudes et grouillantes de monstres ne se heurtaient qu’aux granites du Morvan, très vieille montagne Hercynienne, bien plus haute qu’aujourd’hui et qui n’a plus d’homologues que dans les humbles monts de Bretagne.

Comme aujourd’hui dans le Pacifique, cette montagne était entourée de ceintures de corail, hantées de monstres qu’un aérolithe, chu il y a 65 millions d’années dans le golfe du Mexique, renvoya au néant.

À leur place sortirent, on ne sait d’où, de petits animaux gros comme des rats : les mammifères, êtres prolifiques que l’aide patiente de l’évolution transforma en hommes avec un gros cerveau qui devait leur apprendre à aménager un galet comme à prélever dans les étoiles le fabuleux mécanismes de la bombe atomique qui nous chauffe les fesses et risque de nous renvoyer au néant comme le furent les grands reptiles.

Abrégeons. Wegener formula ses théories. La Terre est vivante. La Terre garde son feu central, se modifie, tremble, soupire de temps en temps par ses volcans.

La mer Jurassique disparut. L’Yonne et la Cure descendirent du Morvan. Déblayant sans encombre les alluvions tertiaires, elles aborderont sur 70kms, les très dures et épaisses barrières coralliennes. Leurs eaux étaient fougueuses, chargées d’acide de par leur origine granitique. Près de Clamecy, de Basseville à Mailly le Château, au Saussois, à St Moré et Arcy, le heurt fut titanesque. À Arcy, la nature du corallien fissuré étant plus favorable, des grottes furent engendrées qui abrégeaient le cours de surface de près de 13kms. Les grottes détournèrent de véritables bras de la Cure, à leur apogée. Puis tout se calma et l’eau revint sagement à son grand détour.

Pourtant, là où la Cure heurte de plein fouet la muraille des rochers coralliens, s’ouvre une perte qui me fit longtemps rêver. L’eau s’engouffre en tourbillonnant, passe sous le chemin et réapparaît tumultueusement dans une caverne modeste avant de s’enfoncer en face nord, dans un siphon inexpugnable. Pourquoi ? Il se trouve au pied de la plus haute falaise d’Arcy et par nature recueille tous les rochers qui depuis des millénaires en tombent. L’eau certes franchit ce crible, pas le plongeur aussi expérimenté qu’il soit.

Bien des gens, bien des plongeurs se sont acharnés sur cet obstacle, vainement, inutilement. Souvent il nous est arrivé de trouver, entassés, de gros cailloux, fruits d’efforts désespérés, de rages impuissantes.

Il existe à l’extrémité Est de cette grotte, un petit trou souffleur qui a longtemps arrêté mon attention. Il souffle, donc il communique avec un vide important. Pourquoi pas avec la caverne qui doit s’étendre par delà l’infranchissable siphon.

Les techniques progressaient. Avec Jean Claude Liger qui fut le maître d’œuvre, nous tentâmes l’impossible. L’industrie avait mis au point le « Spit Roc », un tube d’acier spécial terminé par une couronne d’un super alliage ; ( la composition en restait secrète). Avec des marteaux lourds, on cognait inlassablement sur cette perforatrice.

Dans les débuts, trois heures suffisaient à creuser un fourreau de mine. Puis il fallait rallonger les barres. La force de frappe s’étiolait dans toute cette ferraille. Ce qui demandait trois heures exigeait huit jours. Il fallait bien sûr de l’explosif artisanal (bien entendu je n’en donnerai pas la recette, au demeurant fort simple). En ces temps de terrorisme, il n’était pas question de se procurer de dynamite ou d’explosifs brisants. Enfin, une charge bien placée déplaçait, quand tout allait bien, un demi mètre cube de roche. Plus le trou s’allongeait et plus la chose devenait difficile… Enfin, un vide s’ouvrit. Pierre Guilloré, mince, et mon fils aîné encore très jeune parvinrent à passer et à creuser facilement une nouvelle charge qui nous ouvrit à tous le passage. Ce fut sur 300 mètres une superbe galerie, fauve, taillée en plein roc par la violence des crues. Puis vint un nouveau siphon, long et délicat. Nous n’avions pas de plongeurs. Il en existait, il en vint. Mais c’est là une autre histoire.

23 février 2015 – Fragments– Jean Jacques L.

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