Peu connue, cachée et fascinante, la Fontaine Ronde…

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19 / 02 / 2015
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Des hauteurs d’Escolives glissent vers Auxerre des plateaux calcaires nus et caillouteux qui se couvrent l’été de maigres céréales.

Nul ruisseau ne parcourt ces vastes et mornes solitudes. L’eau du ciel s’y enfouit aussitôt et ne revoit le jour qu’à l’Est et à l’Ouest, dans les vallées de Vallan et de Vaux.

Longtemps Auxerre fut tributaire pour son alimentation en eau des sources de Vallan et de Ste Nitasse, en rive gauche. Le liquide salvateur était acheminé à l’Arbre Sec par de grosses pompes mues par l’Yonne, et dont les pistons cyclopéens expulsaient l’eau vive vers les réservoirs des hauteurs.

Cependant la ville grandissait et en 1945 nos libérateurs américains crurent bon de créer une piscine en utilisant notre bonne vieille eau.

À Auxerre, on est plutôt porté sur le vin, mais il fallut faire face.

Nous habitions rue Bourneil et mon père, récemment rentré d’Allemagne, fort maigre et avec un vocabulaire allemand fort réduit trouva une solution. Empoignant un seau et ma main – j’avais alors sept ans – il prit la direction du pont de Vallan, qu’aucune bombe ne menaça jamais. Là un étroit sentier nous conduisit à un ruisseau inconnu dont nous remontâmes le cours. Miracle ! D’un trou vaste et qui me parut insondable montait une eau limpide et fraîche, avec abondance et fougue.

« C’est la Fontaine Ronde, m’expliqua mon père : l’ultime épanchement des plateaux du champ de manœuvre, la seule vraie source d’ Auxerre. Divers chemins y mènent, mais elle est peu connue et fort heureusement assez proche de chez nous.

La Fontaine Ronde ne l’était pas du tout, affichant une forme pentagonale constituée par des blocs énormes, dont, malgré mes recherches archéologiques je ne connus jamais l’origine.

Il semble qu’aux temps préhistoriques, ce qui devait devenir la ville d’Auxerre soit né au confluent de ce ruisseau (le ruisseau de Ranthaume) et l’Yonne.

  • « viens voir, dit mon père, il y a pour revenir à la maison un chemin qui va t’étonner. »

Descendant cette fois le cours du ruisseau, nous nous heurtâmes au talus du chemin de fer, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de « Coulée verte ».

Là, les ingénieurs avaient vu grand. Un très vaste tunnel s’ouvre, béant, pour recevoir ce mince ruisseau. En rive gauche une banquette confortable s’offre au piéton. Nulle lampe, nulle lumière pour guider les pas. Il faut faire confiance à une très faible lueur et se confier à Pluton ; Sortit de là, on revoit le jour et disparaître le ruisseau dans un vaste égout.

Mon fils aîné et un ami, avec tout un équipement spéléo, et après avoir rencontré bien des affluents scatophiles rejoignirent l’Yonne, sous les yeux surpris et les propos hostiles des pêcheurs. C’était le soir du Bac, ils étaient reçus et soutinrent hardiment les invectives dont on les accabla.

Vers l’âge de 13 ou 14 ans, je m’étais pris de passion pour les insectes aquatiques et avec un ami nous écumions les deux ruisseaux (Ranthaume et Vallan) à la recherche du petit peuple qui les hante. Il s’agissait de garnir nos aquariums de toute une faune mal connue et dont nous avions longuement étudié les noms, la vie, et les aspects larvaires. Que de joies, de poursuites, de découvertes ! Dans la fontaine ronde, des gamarres (crevettes d’eau douce), des girins qui glissent à la surface de l’eau de façon si vive et si complexe que l’œil a du mal à les suivre, des notonectes aux longues rames, ou encore des dytiques, gros coléoptères puissants et féroces, et l’argyromètre, une araignée qui s’enfonce sous l’eau munie d’une bulle d’air argentée qui lui permet de respirer.

Sur ce domaine du petit peuple des ruisseaux, je puis être intarissable et sans doute devenir monotone.

L’autre jour, j’ai voulu montrer tout cela à mon accompagnatrice, en prenant au plus court.

Hélas l’eau claire s’était transformée en fange immonde, les feuillages s’étaient hérissés d’épines, les sentiers s’étaient perdus et des trous s’étaient traîtreusement creusés.

Il aurait fallu passer par la coulée verte devenue fort à la mode. Nous avons échoué, mais comme dit Rostand, « c’est encore plus beau lorsque c’est inutile. »

09 février 2015 – Fragments – Jean Jacques L.

3 Commentaires

  • Claire

    Une fange immonde ? Je suis moi aussi charmée par cet endroit et j’y vais de temps en temps pour le plaisir de voir l’eau claire qui est toujours présente dans la fontaine ! A l’endroit où un affluent se jette dans le ru, juste avant le fameux tunnel, l’eau devient plus trouble car l’affluent est plus abondant et a déjà un long parcours derrière lui. Puisse cet endroit ne jamais devenir immonde, pour l’instant ce n’est pas le cas, même après le tunnel.

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  • Aurore

    Merci pour cette petite histoire. J’ai moi-même habité à proximité de la fontaine ronde, mais dans les années 90 et avec mon frère, nous l’appelions la source. La coulée verte n’était pas encore un lieu de promenade mais seulement un chemin de fer désaffecté et un peu sinistre. Nous y avons passé beaucoup de temps auprès de cette « source » ! En été nous venions y jouer dans l’eau et faire des barrages dans le ru. J’y suis revenue il y à quelques années, avec ma fille ainée encore bébé et le lieu n’avait pas beaucoup changé. Il faudra que j’y retourne avec mes deux enfants, maintenant qu’elles sont assez grandes pour comprendre et se souvenir.

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  • Pierre

    Riverain de ces lieux, je peux vous dire que cet endroit a conservé tout son charme. L’eau y est toujours aussi claire, le tunnel toujours aussi impressionnant et les chemins d’accès sont faciles, surtout par le chemin de bouffaut.
    Il y avait encore une quarantaine d’année de petits poissons dans ce ruisseau mais il semble bien que la faune piscicole se fasse rare maintenant.
    Cette fontaine ronde dont le nom véritable est Saint Amatre (un des 1er évêque d’Auxerre) est bien un des 1er lieux d’occupation de la ville. La ville gallo romaine a repris cette même occupation, on a même découvert sous le viaduc de Vallan un temple dédié à Apollon.
    Merci pour ce texte avec plein de poésie et joliment écrit.

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