Au rythme de la vie et apprentissage de la mort
Au rythme de la vie …
Comme on disait chez nous : « on était de ce côté-là » et il y avait des gens « de l’autre côté ». On allait à la messe du dimanche, quand il y en avait : la famille B.dont une vieille tante célibataire, la famille Dumont, sauf le papa qui venait pour les grandes circonstances et quelques ouailles éparses dans une église bien trop vaste, au plafond tapissé de toiles d’araignées, où nous gelions en hiver. On avait notre banc ; des bancs poussiéreux ornés du dépôt des chouettes qui logeaient dans le clocher étaient parfois marqués aux initiales de quelques paroissiens depuis longtemps disparus. On jouait avec les sous de la quête dans les rainures de l’agenouilloir , parfois même avec des billes ; on chantait en latin sans n’y rien comprendre et quelquefois en français ; on guettait « l’offrande » du pain à bénir, la brioche pour les jours de fête, et on attendait la distribution des petits morceaux de pain bénit à la fin de l’office ; restait le chanteau revenant au paroissien qui offrira le pain la semaine suivante.
Il y avait les jours de fête :
La « Fête-Dieu » : mes deux frères en culotte de velours noir à bretelles et chemise blanche et la petite sœur en robe blanche ; tous avec une corbeille garnie de dentelle, de la vraie, lançant des pétales de pivoines et de roses sur le passage de la procession.
La communion solennelle : garçons en costume marin et brassard, filles en robe longue et voile blancs ; il fallait être à jeun pour communier ; alors on nous réveillait la veille avant minuit pour prendre un bon chocolat chaud et résister au jeûne du matin suivant. Messe où les communiants étaient au milieu du choeur, chacun avec son cierge ; c’était, affirmaient les mamans, le plus beau jour de notre vie ! Photos : venait le photographe professionnel de Guerchy et ça durait un bon moment ! Repas copieux et raffiné ; nous avons même vu le vieux four à pain de la « chambre du four » chauffé pour cuire les tartes. L’après-midi , Vêpres, avec quelquefois somnolence de Monsieur le curé et de plus d’une de ses ouailles ; procession avec des couronnes d’oeillets, marguerites … A l’autel de la Sainte Vierge :
« Bonne Marie, je te confie mon cœur ici bas,
Prends ma couronne, je te la donne,
Au ciel, n’est-ce pas, tu me la rendras ! (bis) »
Retour au grand autel illuminé de bougies ; c’était l’émerveillement ; partout des bouquets de lys dont l’odeur nous montait à la tête ; encens, adoration, cloches …
Et se terminait « le plus beau jour de notre vie ! »
Nous reproduisions à travers nos jeux tous ces rites qui nous marquaient, bien sûr : le baptême des poupées, la « reproduction » de la messe des communions solennelles ; les cierges étaient des oignons ou des poireaux montés à graine, les bannières des sacs de jute ajustés sur des balais et décorés de liserons fleuris. Et de chanter à tue-tête. Ne manquaient pas les enterrements et tout cela avec présence ecclésiastique ; le célébrant changeait au gré des modes ; il y eut même l’abbé Méphisto ; Pourquoi ?
Mes frères étaient enfants de choeur ; Monsieur Lottier, l’instituteur, leur accordait la permission de sortir une heure, à la demande de nos parents , pour les enterrements religieux : une aubaine pour le benjamin quand ça tombait sur une heure de calcul ! Accompagnés du curé, chargés du bénitier et de la croix , ils allaient au domicile du défunt ; première aspersion et prière près du cercueil , puis accompagnement à l’église, avec, en théorie, d’autres prières, la deuxième étape étant celle de l’église au cimetière ; si le mort faisait partie, ou était de la famille d’un musicien, la « Lyre républicaine », bannière en tête, accompagnait en jouant la « marche funèbre de Chopin ». Alors Monsieur le curé qui avait quelques originalités posait des devinettes du genre : « quelle différence y a-t-il entre le cheval du corbillard et nous ? »Après quelques réponses fausses, venait le « j’sais pas, j’donne ma langue au chat » « Eh bien, le cheval du corbillard a le mors aux dents, nous on l’a au derrière »De quoi décomplexer : mon frère Jean se souvient de « son » premier enterrement ; il devait avoir 9 ou 10 ans et cela l’impressionnait ; alors Monsieur le curé de lui dire : « t’en fais pas, ce n’est qu’une … » Suivait le nom de la personne, moitié nomade, moitié sédentaire, une romanichelle .
… apprentissage de la mort
Mes parents étaient petits agriculteurs, petits commerçants, mais on vendait de tout, de la naissance à la mort, donc des couronnes mortuaires de perles et sur des supports en laiton, nous disposions des lettres du même métal « A notre mère regrettée » « A mon époux »etc… Ensuite, on préparait la brouette et on allait porter les couronnes au domicile du défunt ; le cercueil était posé sur deux chaises, à la tête et aux pieds, un drap, des fleurs de nos jardins ; on faisait un bout de prière , on commentait avec la famille et on rentrait à la maison.
A Fleury, il y avait les enterrements civils et les enterrements religieux ; les deux avaient des rites précis : aux enterrements civils, on distribuait à tous les participants une immortelle violette si le mort était âgé, jaune s’il avait un âge moyen, rouge s’il était de gauche et blanc s’il était jeune ; vente à la maison Dumont ! On allait directement au cimetière ; le mort était souvent accompagné par la « Lyre républicaine » ; mais la « marche funèbre » de Chopin n’était pas toujours le morceau choisi du défunt ; un original de ma rue avait demandé qu’on suive le cortège funèbre au rythme de « la Madelon » ; ce fut un enterrement joyeux accompagné par des gamins en délire qui se croyaient au 14 juillet ! Au cimetière, Monsieur le Maire faisait un discours qui exaltait les mérites du défunt ; le reste , les gens le commentaient ; ça se terminait toujours par : « que la terre te soit légère ! ». On posait l’immortelle sur le cercueil et on serrait la main des personnes de la famille, avec un air de circonstance ; quelquefois des larmes coulaient derrière les voiles noirs des femmes en deuil.
Aux enterrements religieux, on allait donc à l’église , mais pas tous ; certains, surtout des hommes, allaient se consoler au café proche de l’église, d’autres attendaient à la porte ; d’autres entraient à l’église toute endeuillée avec de lourdes tentures noires, noires comme tous les ornements et les tenues du célébrant et des enfants de choeur; et on se rendait à « l’offerte », sorte de procession autour du cercueil en passant devant l’autel et on crachait au bassinet ! Pendant ce temps là , le choeur de chant maltraitait le « requiem aeternam » et le terrible « dies irae » que personne ne traduisait, heureusement !
19 janvier 2015 – Fragments – Marité G.
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