La découverte

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14 / 01 / 2015
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La Découverte

En 1984, nous avions trouvé refuge dans l’ancien presbytère de Saint Moré. Il y faisait bon pendant la canicule et tout le reste du temps, le feu était indispensable. Nous avions peu de bois, mais les immenses greniers étaient bourrés de ruches anciennes et nous eûmes quelques remords à les sacrifier. Quelques unes étaient très belles mais il fallait survivre. Un peu plus tard la commune nous accorda des affouages et l’autodafé cessa.

Au mois de Juin nous reçûmes la visite d’Hervelyne, jeune et brillante archéologue qui, outre une vive intelligence, était d’une merveilleuse beauté. Bien des cœurs se mirent à battre, mais elle était sage et déjà fiancée.

Elle avait lu les livres du professeur Leroi Gourhan (professeur au collège de France) et avait admiré ce style clair, limpide, qui avait l’art de dire simplement des choses fort complexes.

Après avoir dirigé pendant trente ans une école d’archéologie d’où sont sortis les plus grands savants de France et du monde, il avait quitté les lieux pour se rendre à Pincevent (Seine et Marne), où la disposition des lieux lui permettaient de faire éclater au monde ses nouvelles et superbes théories. À défaut du professeur (mort en 1986), chacun brûlait de faire découvrir à Hervelyne les splendeurs et les secrets du massif. À commencer par la grotte visitée, décrite par Diderot et d’Alembert dans cette encyclopédie qui devait bouleverser le Monde ou plutôt l’idée qu’on s’en faisait.

Une visite fut organisée. La grotte est une des plus chères et des moins belles du monde.Seule son extrémité – dite des vagues de la mer – a de la beauté. En spéléo, cela s’appelle une salle de « gours »(d’un mot arabe qui signifie bassin). Qu’on imagine une série de bassins d’eau claire(alimentés par la salle des fontaines, qu’on ne visite pas et qui est fort jolie),où l’eau se déverse d’un bassin dans l’autre, abandonnant au passage du carbonate de chaux qui se dépose en couche mince sur les parties hautes, formant des barrages cristallins du plus bel effet. C’est beau, harmonieux et on y a justement installé une batterie de projecteurs pour souligner la grâce de l’endroit.

Or, ce jour là, des électriciens réglaient ces projecteurs et nous aperçûmes des choses étranges : il y avait des lignes sur la roche, des signes, des artefacts comme on dit en spéléo. Rien de clair, rien de précis, mais des choses troublantes. Il n’était pas question d’arrêter la visite, mais il était impérieux de revenir, avec du temps et un puissant éclairage ; nous nous ruons alors chez le Comte de la Varende, vague neveu du grand écrivain, dont-il n’avait pas hélas la plume géniale.

Nous convenons d’un jour, nous nous munissons de fortes lampes. Nous sommes une douzaine : amis du comte et membres du groupe spéléo. Nous scrutons, nous interrogeons des lignes étranges, complexes et tordues. Des taches et enfin une main négative qui nous ragaillardit.

Et puis soudain : d’une voix haute et claire mon ami Pierre Guilloré s’écrie fortement « en tout cas moi je vois un bouquetin ! » Chacun se presse, scrute, contemple. Tous voient l’animal. Sauf moi.

On me montre : son coup, sa tête, ses pattes. Et je ne vois rien. Rien, rien de rien ! Des générations de savants étaient venues là. Ils n’avaient rien vu. On me souligne la chose, on me hèle, on me bouscule. Rien, rien, je ne vois rien. J’avais alors de bons yeux, mais ceux-ci étaient fermés, inutiles, chassieux. Ce n’était pas possible. Plus tard j’eus des troubles nerveux, des dépressions à répétition qui me conduisirent à l’hôpital. La télévision me rendit alors la vue. Je finis par voir. Une psychologue douce et intelligente finit par m’éclairer. Les yeux voyaient, mais le cerveau obstiné refusait l’image. Il fallut me rendre, accepter. Des mots du quatrième évangile s’élevaient : « heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ». Puis lentement des mammouths apparurent. Les images (33000 ans)avaient été recouvertes d’une pellicule de calcite. Des équipes successives les décapèrent à la fraise de dentiste.

Cette calcite les avait obscurcies, mais protégées. Des couleurs superbes apparurent.

Il est interdit de les approcher. Monsieur Malraux, dans les années soixante fit fermer la grotte de Lascaux. Le remède n’est pas encore trouvé. Arcy sur Cure s’en tirera peut-être. Et tout reste à découvrir.

12 janvier 2015 – Fragments – Jean Jacques L.

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