Moins on parlera de la chose mieux ça vaudra !
«Moins on parlera de « la chose » mieux ça vaudra !»
Quand BRAD et PITT, des jumeaux de treize ans, prirent conscience que leur Mamie perdait la tête et sitôt que leur maman leur eut demandé de faire ce qui était en leur pouvoir pour l’aider à se remémorer ses souvenirs, ils décidèrent de mettre à profit la situation. Ils allaient l’amener à évoquer sa jeunesse, son passage à l’école ménagère, son adolescence, et bien entendu ses amours. Leurs parents se refusaient toujours, en dépit de leur insistance, à leur conter leur propre rencontre et leurs premiers émois. Grâce à Mamie qui leur avait toujours tout appris de la nature, des plantes, des animaux, sans aucune réticence, ils allaient enfin pouvoir approfondir leurs connaissances des filles, de leur caractère; découvrir leurs désirs, leurs envies, leurs attentes par rapport aux garçons. Ils allaient développer leur connaissance de la vie. Leurs copines avaient quinze ou seize ans même, ils auraient aimé les approcher avec plus d’assurance dans la voix, dans le regard, plus de certitudes, une ignorance moins crasse de leur vie physique, des rêves qui habitaient leurs jolis fronts.
Brad et Pitt rêvaient de baisers volés, de caresses consenties, d’approches sensuelles et amoureuses comme ils en voyaient à la télé qui feraient d’eux de vrais mecs, des initiés, des hommes avertis. Fallait pas compter sur l’abbé Marc et sa catéchèse, les heures de colos entre scouts, les films qu’on leur proposait dans leurs soirées-détentes :Fernandel, Bourvil et même Jean Marais amoureux de Madeleine Sologne ne les faisaient ni rire ni fantasmer ! Peu de perspective d’ouverture de ce côté. Quant aux profs du lycée, ils restaient rivés à leur programme de science et vie de la terre, sourds à toute question quelque peu hors sujet. Tout le monde dans l’entourage de Brad et Pitt semblait avoir pour devise :«MOINS ON PARLERA DE LA CHOSE, MIEUX ÇA VAUDRA !»
Avec Mamie et son début d’Alzeihmer, ça allait changer! Il fallait agir subtilement, avec douceur et nul doute , elle se confierait à ses petits-fils chéris. Pas trop de questions ouvertes mais des approches discrètes, des recours à la tendresse, des appels à la confidence murmurés à voix basse dans le creux d’une oreille pas encore si sourde! Mamie les regardait avec attendrissement, caressait leurs visages où fleurissaient leurs premiers boutons d’acné, s’attardait sur les quelques poils follets qui soulignaient leurs lèvres pulpeuses, gonflées d’amours précoces. Bien sûr elle céda. Pour eux, elle ouvrit ses albums photos. C’est qu’elle était drôlement jolie Mamie jeunette ! Sa silhouette n’avait rien à envier à celles de leurs amies. Elle leur parla de ce fringant militaire à l’allure désinvolte qui lui tenait la main au bord de l’Ourcq et paraissait si amoureux! Sans trop insister, Brad et Pitt tentaient de lui faire se souvenir des paroles qu’ils échangeaient au cours de ces promenades à deux. Mamie souriait.« Mais oui, elle se rappelait…» mais n’en disait pas plus. Cependant, pour leur plaire, elle retrouva en haut de son armoire, des coffrets, des boîtes d’émail ou de nacre qu’elle ouvrit avec force précautions et d’où elle sortit petits mots doux, mèches de cheveux soigneusement protégées par de fines couches de papier de soie . Un jour enfin elle étala devant ses petits-fils de plus en plus curieux, les photos de ses fiançailles et de son mariage. Le marié ne ressemblait pas au jeune fantassin des bords de l’Ourcq dont la Mamie avait gardé les lettres dans des enveloppes bleues qu’elle avait couvertes de baisers encore rouges en dépit du temps passé. Un aviateur blond tenait le bras d’une Mamie resplendissante dans sa blanche robe de dentelle . Un invité les avait saisis au moment où ils s’éclipsaient pour rejoindre la chambre de leurs noces. Les joues de Mamie étaient toutes roses, son mari avait un regard extasié et amoureux. Mamie tenait l’image en tremblant, quelques perles d’eau roulaient le long de ses rides profondes…le moment était venu pensèrent Brad et Pitt. Mamie était « à point ». Ils allaient pouvoir avancer quelques questions plus indiscrètes qui brûlaient leurs lèvres. Ils avaient posé leur tête sur les épaules de Mamie , belle comme à ses vingt ans. Ils la flattèrent, la cajolèrent, ils la sentaient fondre, ses mains toujours sèches devenaient moites. « Mamie, dis-nous, la porte s’est fermée juste après. Et alors que…» Mamie brusquement referma les boites, fit claquer les fermoirs des albums, fronça les sourcils, mit un doigt sur sa bouche, l’air mystérieux ;« Mes petits ,chers petits, mes tout petits ,vous avez la vie devant vous pour découvrir l’Amour. MOINS on parlera de « la chose », ensemble, mieux ça vaudra»
18 novembre 2014 – Textes courts -Denise PEZENNEC