Ado en internat

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03 / 11 / 2014
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– 1940 – Déroute de l’armée française, exode, occupation allemande, Français humiliés, restrictions, réquisitions ; une année que tous les anciens ont en mémoire comme une plaie qui fut longue à cicatriser ; c’est précisément cette année-là, qu’en novembre, je me suis retrouvée en internat à Auxerre ; j’ai déjà évoqué cette sombre rentrée, le regret de quitter mon village, ma famille, mon école et mes camarades ; tout cela mêlé pourtant à un sentiment de bonheur : je vais étudier et peut-être posséder des diplômes comme le souhaite « mon » instituteur habile à convaincre mes parents de mon futur « bel avenir professionnel ». Soit !

J’ai 13 ans, je me plie aux exigences du pensionnat et accepte tant bien que mal la vie en collectivité ; ce n’est plus la famille et la chaleur de son cocon, entre parents, frères et grand-mère ; je ne suis pourtant pas longue à me faire de sympathiques camarades, des amies toujours complices dans les bons et mauvais moments que nous vivons ensemble.

Nos journées se déroulent selon un rythme immuable : lever à 7h , toilette rapide, petit déjeuner suivi d’une heure d’étude puis les cours du matin où nous rejoignent les externes, le repas de midi, à une époque où le ravitaillement est un réel problème ; nous sommes des J2 ou des J3, nos rations de pain, parfois à la farine de maïs, ne pèsent pas lourd ; les rutabagas, les pommes de terre, les topinambours et pois cassés reviennent souvent sur la table ; la viande se fait rare ; heureusement quelques parents fermiers tuent, clandestinement, des bêtes et fournissent le pensionnat ; nous faisons souvent grise mine devant notre assiette mais nous mangeons en pensant à la « boîte à provisions » que nous allons sortir des placards pour le goûter ; un trésor, « la boîte à prov’s ! »remplie par les parents ou les rares visiteurs : chocolat, gâteaux et pain d’épices, confiture maison, sucre et miel, œufs durs, fromage… Les odeurs mêlées emplissent le préau fermé où nous partageons les goûters. Et l’on retourne en salle d’étude ; en deux heures au plus, devoirs et leçons , tout doit être prêt pour le lendemain ; pas le temps de bavarder et encore moins de chahuter : on se rattrape pendant le dîner ; il faut bien commenter les menus et donner des appréciations imagées ! Au cours des années, la qualité des repas s’améliore et nous comprenons mieux la situation.

Après un moment de détente calme, nous grimpons au dortoir ; toilette à l’eau froide de part et d’autre d’un lavabo collectif ; pas ou peu de chauffage dans ce petit dortoir ; une douzaine de pensionnaires se glissent sous les couvertures ; enfin on va pouvoir converser ou rigoler avec les voisines de lit, tout bas, car Mademoiselle Lucie écoute derrière les rideaux blancs qui entourent son box ; on peut suivre ses mouvements grâce à un éclairage discret et on essaie de ne pas s’endormir avant la séance de déshabillage ; on se pelotonne dans le lit et arrive le moment des rêves, des larmes parfois, avant de s’endormir.

Par tous les temps, nous avons des récréations dehors ; en janvier-février 1941, il fait très froid et le sol reste couvert de neige et de verglas , bonne occasion d’organiser des glissades et les chutes ne nous font pas peur ; on s’élance, droit dans nos sabots ou accroupies et tenues de chaque côté par les copines ; oui, nous étions en sabots de bois et chaussons montants fabriqués avec du tissu bleu horizon des uniformes militaires alors remplacés par du kaki ! Je ne sais plus qui nous a fourni toutes ces élégantes paires de chaussures que nous avons usées jusqu’à les percer et même les fendre en deux !

Le jeudi et le dimanche c’est toujours « grande promenade » ; la troupe en uniforme bleu marine chapeau bleu marine et chaussettes blanches , en rang par deux, une surveillante en tête, une surveillante en queue, s’éloigne de la ville et « rompt les rangs » sur les terres de St Georges, Perrigny ou Monéteau , des villages loin de la ville à cette époque ; c’est une excellente oxygénation ! On ne peut pas dire qu’on manque d’air !

Le dimanche est aussi consacré aux offices religieux à la cathédrale et à la correspondance avec la famille et les amis ; on remet le courrier sous enveloppe ouverte à la surveillante et c’est la direction qui a regard sur nos écrits et ferme le courrier ; la censure passe par là ; ça me hérisse et il arrive qu’on fasse partir du courrier par les externes qui se prêtent au jeu. Qui n’a pas eu ses petits secrets à confier à sa famille ou à des ami(e)s ?

Et les vacances ? Quinze jours à Noël, quinze jours à Pâques, les grandes vacances, cinq jours soit à la Toussaint, soit à Mardi-Gras selon les années. Nous n’avons pas de moyens de transport ; les vélos sont autorisés à partir de la seconde. Personnellement, je profite du bus bringuebalant des maraîchers le mardi ou le vendredi, jours de marché à Auxerre ; pas facile quand les vacances commencent un samedi soir et que la rentrée se fait un lundi ! Nous ne manquons pas de culot l’année où cinq jours de congé sont annoncés pour Mardi-Gras en février ; Jacqueline a écrit à son frère de venir la chercher le samedi soir des congés ; ne croyez pas que ce soit avec une voiture de luxe ! Mais avec le cheval et le cabriolet ! Notre petite valise est prête ; nous attendons notre chauffeur , le temps passe, rien n’arrive ; alors avec Anne-Marie, une troisième copine, nous décidons de franchir le portail et de nous mettre en route, valise à la main, à la rencontre de notre transporteur ; nous marchons à bonne cadence ; c’est la fin février, la nuit arrive et nous ne voyons rien venir à l’horizon ; Anne-Marie pleurniche et panique : « qu’est-ce qu’ils vont dire mes parents ? » Jacqueline chante à tue-tête : « dans la troupe ya pas d’jambes de bois, ya des moules mais ça n’se voit pas … » Je leur dis que nous approchons de Fleury ; c’est presque vrai car nous voilà aux Courlis et au loin nous voyons une petite lueur encourageante ; c’est le falot du cabriolet puis le bruit des pas du cheval qui arrive, essoufflé, jusqu’à nous : « c’est mon frère ! » Demi-tour sur route, on grimpe dans le cabriolet et au galop, en route pour Fleury la Vallée ! Mes parents inquiets retrouvent le sourire et l’attelage pousse jusqu’à Laduz et Neuilly pour déposer les deux autres fuyardes. Dans les familles, l’exploit a été commenté différemment : courage, hardiesse, inconscience, bêtise d’ados, ça leur passera ! Jamais la pension n’a eu connaissance de notre escapade ! Bravo les parents !

En internat comme en famille, on chope quelques petites maladies qui permettent d’échapper à certains cours et de profiter de quelques faveurs de nourriture ; à l’infirmerie, on se retrouve parfois à cinq ou six et on ne s’ennuie pas ; mais le plus drôle c’est la visite du docteur, celui de tous les internats de la ville ; auscultation rapide, ordonnance vite rédigée ; qu’il s’agisse d’une rubéole, d’une varicelle, d’un mal de ventre ou d’une entorse, vous avez droit à la miraculeuse aspirine et trois jours de chambre ; en se forçant un peu à tousser, on peut aller jusqu’à cinq jours et avoir un sirop au goût douteux ! Merci quand même docteur Aspro !

Mes années-pension sont marquées par l’occupation allemande, le bruit des bottes, l’appel des sirènes et les alertes ; en plein cours, parfois la nuit, on descend en bon ordre dans les caves considérées comme des abris sûrs en cas de bombardement mais nous ne sommes pas rassurées pour autant et la fin de l’alerte est un réel soulagement ; pas toujours pour tout le monde quand on apprend que la gare de Migennes a été bombardée et qu’il y a des victimes.

Nous passons pourtant nos examens, certes dans de mauvaises conditions, mais la jeunesse veut rire ; les épreuves du bac terminées, les lycéens chahutent et défilent en monômes bruyants dans les rues auxerroises et même rue de la Fraternité essayant d’entraîner « les filles du bac » ! Entrés par le portail entrouvert, ils sèment la panique mais les pensionnaires s’en donnent à cœur joie !

Six années de pensionnat ! C’est une tranche de vie qui marque mon existence ; j’arrive alors

au moment des choix professionnels et la route continue.

Six années marquées par les inquiétudes du moment : les jeunes hommes prisonniers en Allemagne, les arrestations, la Résistance, les camps de concentration dont on ne connaît pas encore les horreurs, les villes détruites par les bombardements, les victimes dans de nombreuses familles, un pays à reconstruire. Heureusement le 6 Juin 1944 redonne de l’espérance mais au prix de souffrances et de pertes humaines. Aujourd’hui, enfants et petits enfants s’étonnent que nous ayons vécu cette époque inscrite dans leurs livres d’Histoire.

03 11 2014 – Fragments – Marité G.

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