Brameloup (2)

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30 / 09 / 2014
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BRAMELOUP

J’arrêtai ma 4L sitôt passée la pancarte.

Le mot m’avait surprise et charmée.

J’imaginai un loup, seul dans la forêt, hurlant à sa meute et à sa louve préférée avec la force du cerf en rut, à l’heure du brame.

Je cherchai des yeux le village annoncé, BRAMELOUP, me tournai vers les quatre points

cardinaux. Rien. Pas un toit. Pas un clocher. Pas la moindre cabane. Pas une seule construction de pierres sèches parmi les lignes de lavande qui dévalaient la pente au sud ou les rangées de vignes qui striaient les coteaux à l’est.

Pourquoi annoncer l’existence de RIEN ?

Pourquoi aiguiser l’intérêt des touristes de passage par un terme poétique, titre que ne renierait pas un lied de Schubert ou un poème de Rimbaud , pour ne RIEN montrer à voir !

INCROYABLE ! Je L’entendais LE LOUP ! Au fond de mes oreilles, des sonorités rauques et aigües à la fois se disputaient mes chaînes d’osselets avec force.

Je faisais BRAMER le LOUP en moi. Il m’envahissait, puissant, tous muscles tendus, sa peine explosant ses cordes vocales.

Je me sentais devenir LOUP, tout mon corps vibrait. D’un coup de rein je me jetai sur le talus herbu,jambes et b ras écartelés; mes mains griffaient la terre, je tremblais mais c’est d’une voix ferme que je me mis à crier:

« Brame, LOUP. Brame ta souffrance. Hurle ta peine et le regret de ta louve perdue. Avec toi je maudis celui qui l’a tuée pour rien, pour le seul plaisir de faire souffrir un être vivant qu’il méprise et craint. Garde intacte ta fierté de Loup, venge-toi, chasse-le. Tu es le plus fort et je suis ton amie…»

Je ne quittai pas des yeux un bosquet de pins, couronne d’ un mamelon de terre sombre, si minuscule qu’il avait échappé à mon exploration du paysage. Il m’avait semblé y voir passer une ombre. Le mot « amie » résonnait encore que je vis en sortir une silhouette animale hésitante tout d’abord, qui m’ approchait peu à peu ?avec plus d’assurance, le museau flairant le vent, le cou tendu, les oreilles dressées. Je me contrains à l’immobilité la plus réceptive possible. Je ne sentais aucune agressivité de la part du loup qui, la tête baissée vers moi, renifla posément mes mains puis mes cheveux. Je croisai son regard vert piqueté de brun Il recula alors, se tendit vers le ciel d’un bleu si intense qu’il en était irréel, jeta vers lui un dernier appel puissant et d’une volte-face rapide, regagna le couvert des arbres .Je demeurai longtemps immobile, bouleversée.

Quand je me relevai à la nuit tombante, j’avais pris une décision. Je sortis de solides gants de protection de ma 4l, les enfilai avec soin puis sans aucune hésitation, je commençai d’arracher une à une les lettres de métal de la pancarte B R A M E L O U P avec une force tranquille que m’avait transmise, j’en étais certaine, mon étrange compagnon d’un instant.

16 septembre 2014 – Textes courts – Denise Pezennec

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