Les manies de Mona

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26 / 06 / 2014
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Les manies de Mona

 

Richard purge la seringue sous l’œil attentif du maton. Pas pratique de réaliser ce geste simple les poignets serrés par une paire de menottes. Il a eu beau demander qu’on le détache en secouant bruyamment ses mains enchaînées. L’autre s’est contenté de faire non de la tête et d’invoquer le règlement tout en se tournant vers le juge pour confirmation. Richard se demande bien de quoi ils ont peur, qu’il leur fonce dessus avec la seringue ou qu’il se la plante dans le cœur? Ils ne savent donc pas qu’il a le cœur déjà complètement brisé, est-ce qu’il le sait ce petit juge avec son costume foncé et sa cravate bordeaux ce qu’on peut faire quand on aime à en perdre la raison? Avec le flic ils sont en plein conciliabule. Ils attendent que Richard montre de la bonne volonté. Ils lui ont dit que ça serait tout bénéfice au procès s’il acceptait une reconstitution. Crime passionnel c’est plutôt bon pour vous, a suggéré son avocat. Dix ans maximum a-t-il ajouté pour compléter le marchandage. Alors il a dit d’accord, par lassitude. Marre de la détention provisoire.

Richard soupire et fait le tour de la pièce du regard. Il ne la reconnaît pas cette chambre de soins intensifs où il est entré si souvent pour surveiller ses opérés de la veille. Cette chambre c’est celle où il a rencontré Mona pour la première fois. Elle était tout juste diplômée de l’école d’infirmières et déjà dotée de son air faussement candide. Dès le premier jour on pouvait dire qu’elle l’avait accroché, avec ses yeux soumis et admiratifs, lui le chirurgien pourtant madré dont la seule passion était de rouler dans un bolide à deux cent à l’heure, pour se détendre après le programme opératoire. Il n’était pas près d’oublier le grain de sa peau malgré tout ce qui s’était passé par la suite. Elle avait la drôle d’habitude d’écrire après l’amour, pendant que lui rêvassait. Lorsqu’il lui demandait ce qu’elle écrivait sur son petit cahier à spirales elle se mettait à rire et ne voulait pas le lui montrer. Elle disait que c’était son journal intime et qu’elle ne le montrait à personne. Il trouvait cette manie d’adolescente retardée un peu ridicule mais il n’insistait pas. Il avait mis le doigt dans un engrenage et il ne pouvait plus se passer d’elle. Il n’éprouvait aucune mauvaise conscience de son adultère. Ses absences étaient pourtant de plus en plus difficiles à justifier, malgré le fallacieux prétexte des congrès. Et puis Mona était devenue de plus en plus exigeante. Elle voulait vivre avec lui. Elle lui avait demandé maintes fois de quitter sa femme, de partir refaire leur vie ailleurs, de lui faire un enfant. Elle le menaçait chaque jour de plus en plus. Tantôt de révéler leur liaison. Tantôt de se supprimer. Il aurait fallu qu’il fasse un choix. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant que Mona ne commette son geste. Lui en tout cas il avait fait le mauvais.

  • Alors Docteur, intervient le procureur, il était bien vingt trois heures lorsque vous avez demandé à ce qu’on vous laisse seul avec votre maîtresse, n’est-ce pas? C’est à ce moment là que vous avez accompli votre forfait? Montrez-nous comment vous avez procédé.

Richard a rempli la seringue avec une ampoule de chlorure de potassium hypertonique, il tape instinctivement sur le plastique pour faire sortir une petite bulle, puis il introduit l’aiguille dans le petit caoutchouc de la tubulure d’une perfusion et pousse lentement le piston. Il tremble. Comment a-t-il pu faire ça à Mona, il se le demande encore.

Mona avait ingurgité une quantité importante de Benzodiazepines. Elle avait pris l’habitude de prendre des anxiolytiques les soirs où elle ne travaillait pas, et parfois elle les mélangeait avec du whisky. Elle était arrivée dans un sale état à l’hôpital mais on l’avait trouvée à temps dans son appartement, grâce à une collègue qui était passée par hasard. Elle avait préparé une enveloppe qui lui était destinée. Le pompier la lui avait tendue avec un drôle d’air. Elle le suppliait encore, lui disait qu’elle n’en pouvait plus, qu’il ne fallait plus attendre, qu’il allait le regretter. Richard de passage dans le service de réanimation ça n’avait surpris personne. Il l’avait contemplée dans son sommeil. Senti le grain de sa peau. Puis brusquement il avait rempli la seringue. En sortant il avait croisé l’infirmier de nuit, un colosse noir qui le fixait gravement. Non Mona n’était pas encore stabilisée.

Richard avait vidé la seringue dans la tubulure et avait relevé la tête. Le magistrat le regardait d’un air absent, d’une main il tapotait le petit cahier à spirales de Mona. Ce petit cahier qu’on avait trouvé lors de la perquisition à son domicile et qui avait entraîné sa garde à vue. Elle avait retranscrit toute leur idylle jour après jour. Dans les dernières pages elle l’accusait de vouloir sa mort. Le malabar avait témoigné, Mona avait fait un arrêt cardiaque fatal dans les minutes qui avaient suivi son passage. Il avait pu récupérer l’ampoule de potassium dans la poubelle. Elle avait voulu mourir et se venger en même temps de lui. Richard s’était fait piéger par Mona et ses manies.

Mai 2014 – Orteil d’Or – Didier Laurens

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