Barbara
Barbara
Avant de refermer le journal, elle en relut les dernières pages.
Mercredi 3
Depuis que j’ai rencontré Barbara, je ne touche plus terre. Quand elle m’a abordé sur la plage, j’ai cru rêver. Une aussi jolie fille, qui m’invite tout de go à passer les vacances dans son domaine ! Et quel domaine ! Tout y semble parfait, chaque objet choisi avec goût et disposé à l’endroit idéal.
C’est tellement reposant, comparé au capharnaüm de mon appartement. On dirait qu’elle parvient à ordonner l’univers.
Jeudi 4
Elle est tellement parfaite. Avec elle, tout arrive comme par magie au moment où on le désire. Tout est tellement simple.
Et puis, nous avons chacun notre jardin secret. C’est tellement important de conserver ça dans un couple. Moi, je t’ai, mon journal, qu’elle n’ouvrira jamais, et elle sa cabane dans le parc, dont j’ai promis de ne pas approcher.
Et bien sûr il y a nos nuits ! Son boa bleu qu’elle conserve comme seul vêtement ! Ça me met dans des états ! Elle joue aussi à me le passer autour du cou et sur tout le corps, c’est terriblement sexy.
Vendredi 5
Un repas comme je n’ai jamais mangé de ma vie ! Je crois que c’était du veau, mais à ce niveau de délice, ça n’a plus de nom. Elle a catégoriquement refusé que je l’aide à cuisiner. « Secrets de sorcière ! » m’a t-elle dit. De fée, bien sûr.
Boa bleu, cordon bleu, ciel bleu, je vis un vrai conte de fée !
Samedi 6
Incroyable comme le recyclage peut avoir une résonance cosmique. Barbara est une experte en la matière. Il faut dire que je m’étais trompé de bac en essayant de l’aider à débarrasser, et j’ai eu droit à une leçon complète sur l’art de ne rien laisser perdre. J’avais pourtant des excuses car ce n’est pas deux bacs qu’elle utilise, mais cinq.
Dimanche 7
Petite ombre au tableau. Barbara est partie tout l’après-midi. J’en ai profité pour lire dans le parc. J’étais bien… Mais lorsqu’elle est rentrée, elle m’a demandé si je n’avais pas touché à la clé de sa cabane et s’est un peu énervée. Elle a fini par la retrouver, mais l’a observée minutieusement puis m’a regardé d’un air soupçonneux. Elle est bizarre, parfois.
Heureusement, le soir, elle s’est détendue. Nous avons fait l’amour comme jamais. Elle m’a lié les mains avec son boa, c’était délicieux.
Lundi 8
Quand-même, je continue à me poser des questions sur Barbara.
Par exemple, cette façon de toujours tout remettre en place aussitôt après utilisation. Au début, je trouvais ça assez charmant, mais à présent, ça commence à m’agacer. Par exemple, il suffit que je me retourne une minute et mon cendrier a disparu, il est vidé lavé et en train de sécher sur l’évier. Ou mes vêtements que je retrouve pendus à un cintre alors que je les avais posés sur une chaise. Ma brosse à dents qui revient dans ma trousse de toilette.
Mardi 9
Ça paraît délirant, mais parfois elle me fait un peu peur. Après l’amour, je me demande parfois ce qu’elle rêve de faire de moi lorsque j’ai fait mon office. Me laver et me ranger dans un coin ? Et quand je ne lui serai plus utile ? C’est qu’elle a aussi cette volonté de ne rien laisser perdre.
J’aurais dû faire davantage attention à ses manies.
Elle referma le journal d’un coup sec et le rangea dans le carton, avec ses affaires. Bien rangées, pour une fois.
Ses manies ! Il ne s’était pas regardé. Enfin, peut-on être si désordonné ? Comme un chien pose sa crotte. Il fallait toujours passer derrière lui. Comment avait-elle réussi à le supporter aussi longtemps ?
Dommage, à part cette sale habitude de tout laisser traîner, c’était un gentil garçon et un bon amant. Elle remit le carton sur l’étagère, entre Julien et Boris. Quant à lui… il faudrait qu’elle achète un autre congélateur. L’autre commençait à être plein.
Mai 2014- Orteil d’Or 2014 – Jean Marie Tremblay