Méfions nous des manies de Mamie
Méfions nous des manies de Mamie
C’était il me semble un jour comme un autre, et pourtant il était différent.
Un matin où tu n’as pas le temps d’ouvrir les yeux que tu entends déjà les moteurs des voitures en bas dans la rue, le camion des poubelles qui passe, les cantonniers qui lavent le trottoir, le boucher qui discute avec l’épicier du coin et la vieille dame qui hurle à son teckel de tirer moins fort sur sa laisse.
C’est sa manie à Mamie de le gaver de sucreries et autres nourritures qu’il peut à peine avancer. Mais elle a toujours décidé que son toutou chéri était un gros mâle plein de muscles et qu’il lui fallait des pleines gamelles de viande, de riz et autres denrées extravagantes. Tout le monde le voit que ce n’est qu’un teckel, mais qui oserait le dire à Mamie-pleine-de-manies ?
Elle est tellement vieille qu’on ne sait lui donner un âge et on compatit avec le pauvre toutou qui nous regarde désespérément et dont les yeux nous hurlent qu’il aurait bien besoin d’un régime, mais pour Mamie il continuera à manger à chaque fois qu’elle décidera qu’il a faim.
Le Véto du coin, dès qu’il voit arriver Mamie et son clébard, il se sauve par l’arrière de la boutique, car il se souvient du coup de rouleau à pâtisserie reçu quand il avait seulement suggéré que « Médor devrait attaquer un régime ».
Le pauvre n’avait pas eu le temps de terminer sa phrase, qu’il était déjà K.O. Le gentil toutou à sa mamie occupé à le mordre. Puis à eux deux, ils avaient transformé la clinique en champ de bataille.
La volière de l’entrée s’était retrouvée fracturée au sol, un nuage de plumes au dehors, avec des cris, des piaillements, des hurlements et les aboiements de Médor et de tous les quadrupèdes de la clinique. Le véto au sol agonisant, Médor batifolant avec une perruche qui avait fini par prendre peur et s’enfuir et en la poursuivant le chien avait libéré une porte battante où deux sangliers aux défenses acérées et perfusés s’étaient rués vers la sortie, bousculant l’intrépide Mamie qui seule avait tenté de les arrêter et s’était retrouvée allongée sur le vétérinaire qui reprenait connaissance.
Ce qu’il avait perçu en premier avaient été des petits grincements et le temps qu’il dise « oh non ! », un flot de rats, des gris , des blancs, des multicolores, par centaines s’étaient fait la belle, derrière la secrétaire qui était phobique des souris.
C’est alors qu’un dogue allemand d’environ 90 kgs, 1,20m au garrot, la tête bandée, les yeux albinos et des pansements tout autour du ventre avait filé lui aussi, en emportant dans ses crocs un morceau du mollet du véto. Mamie, qui tentait de se relever, avait reçu en pleine face une perruche affolée qui cherchait à rejoindre son nid et était retombée sur le vétérinaire, le temps de réaliser avec horreur que son Médor avait disparu !
Quelques minutes d’affolement plus tard, les pompiers et la police aidaient le vétérinaire à se relever quand ce dernier réalisa qu’une seule cage était encore occupée par un pensionnaire, un animal hyper doux et calme et d’ordinaire uniquement appliqué à manger et dormir.
Or, une seule chose au monde ferait sortir cette animal de sa cage, d’ailleurs jamais fermée. Cette chose il en reniflait l’odeur, une odeur qui ne lui plaisait guère, une odeur à laquelle il était allergique au point de ne plus être lui-même, une odeur qu’il avait connue quand il était tout petit et qui faisait que ce jour qui devait être semblable à tous les autres, pour lui ne l’était plus.
C’était ce jour qu’il avait tant attendu, après des années sans bouger, sans geindre et sans baver, et voilà que ce jour était arrivé.
Que devait-il faire ? Bondir hors de sa cage ? Attendre encore ? Était-ce vraiment le moment ? Avait-il le temps de réfléchir ? il a eu assez d’années pour le faire… Cela pourrait-il se reproduire encore ? Une si belle occasion ? Il lui fallait la saisir ! Sortir de cette prison miniature dans laquelle les manies de Mamie l’avait jeté !
mai 2014 – Orteil d’Or – Mag