Maman Tavie

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28 / 01 / 2014
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Maman Tavie

On l’appelait « maman Tavie », c’était notre grand-mère paternelle, Octavie de son vrai prénom, Jolibois de son nom de jeune fille, une deuxième maman pour nous ; nous l’avons toujours connue vivant avec nos parents dans la maison de famille de Fleury.

Elle nous a parlé de son enfance, elle qui avait perdu sa mère très jeune et n’était pas heureuse avec sa « marâtre », la seconde épouse de son père.

Née aux Varennes, près de Ponceau en 1864, elle est allée à l’école à Charbuy, à environ trois kilomètres de son hameau natal ; j’en frémissais quand elle parlait des loups en hiver et qu’il fallait passer par les bois.Elle avait des souvenirs de la guerre de 1870 et de sa rencontre avec les Uhlands Elle gardait un véritable culte pour son école, avait obtenu son certificat d’études en 1877 ; nous avons retrouvé son diplôme sous cadre doré avec ceux de notre père qui avait eu à Fleury son certificat d’études et son brevet d’aptitude pour l’enseignement , la fierté de ses parents ! Maman Tavie était une vraie pédagogue et souvent elle nous faisait apprendre et réciter nos leçons de façon magistrale, répéter nos tables de multiplication et les départements avec préfecture et sous-préfectures !

 

Sortie de l’école, elle a fait son apprentissage de couture ; j’ai souvent admiré ses talents de couturière ; elle cousait à la perfection et confectionnait les vêtements de mes frères enfants et mes petites robes de fête : elle utilisait le moindre morceau de tissu pour que rien ne soit perdu, coupait, assemblait, faufilait, retouchait jusqu’à ce que tout soit parfait ; elle faisait grandir mes robes et manteaux en même temps que moi. Assise à côté d’elle sur un petit banc j’admirais la finesse de ses points exécutés rapidement ; elle me donnait des chutes de tissu pour que je fasse comme elle ! Nous nous mettions près de la fenêtre de sa chambre pour voir plus clair et elle me demandait d’enfiler son aiguille quand sa vue faiblissait. Elle savait rapiécer les fonds de culotte et les genoux de pantalons des garçons, un vrai patchwork, repriser les chaussettes de toute la famille ; les reprises de ma grand-mère, « de la tapisserie, presque de la broderie » ! disait-on autour de nous.

 

Elle s’est mariée jeune avec Edmond Dumont ( 1956-1908), ce grand-père que nous n’avons jamais connu ; il était paysan, commerçant, dans la vieille maison de famille, musicien, chef de la fanfare du pays, « la lyre républicaine ». Veuve à quarante-quatre ans, maman Tavie s’est retrouvée à la tête de la maison avec toutes les tâches que cela comportait, aidée de ses deux fils. Elle nous parlait parfois de ce grand-père qu’elle aimait tant ! Au cimetière, elle nous faisait prendre sur la tombe un peu de terre ou un petit caillou entre nos mains, y déposer un baiser d’enfant en pensant à lui et renvoyer terre et baiser à ce grand-père absent.

 

Maman Tavie était notre gardienne quand nos parents devaient s’absenter ; nous n’étions pas des modèles de sagesse et la surveillance de la cour et du jardin n »était pas facile quand il fallait être « à la boutique »avec les clients bavards qui n’en finissaient pas de raconter leur vie ! Mais pour le goûter, « tous présents » ! Nous obtenions des « quatre heures » inoubliables ; cela pouvait aller de la bouillie de bébé, la blédine au goût bien particulier, « blédine, la seconde maman ! », à la tartine de pain d’épices bien beurrée et recouverte de chocolat râpé en passant par le morceau de pain et sa barre de chocolat noir ou une bonne portion de camembert. Parfois, on avait droit à une petite crêpe sucrée à la confiture ou aux coeurs de gaufres cuites au feu de bois ; jamais de triche, chacun sa part et toujours, il y avait la part réservée pour papa-maman !

La cuisine n’avait pas de secret pour maman Tavie ; souvent c’était elle qui préparait les repas, mijotait nos petits plats préférés, utilisait les restes avec beaucoup d’imagination. Je la vois, toujours habillée de noir, robe satinée en été, de pilou en hiver, toujours protégée des taches par son tablier bleu , tournant patiemment la cuiller de bois déformée par l’usure jusqu’à ce que la béchamel légère soit à point, réalisant son fameux pâté de lapin qui embaumait le quartier, cuisant la « crapaudine », confectionnant des biscuits de Savoie fins et légers, les oeufs au vin ou les oeufs au lait salés ! Et j’en passe ! Quel soulagement pour notre maman toujours occupée, à la boutique, au jardin pour les cueillettes ou au « pré carré » et à la basse-cour tandis que notre papa était en tournée dans les villages voisins. Nous en avions de la chance de grandir entourés de tant d’affection ! Elle nous a donné cette chance qu’elle n’avait jamais eue dans son enfance !

Elle a connu trois guerres : 1870, 1914-1918, 1939-1945, la mobilisation et les blessures de son fils aîné, notre oncle de Neuilly, l’exode et l’occupation allemande en 39-40. Elle a toujours fait preuve d’une grande détermination, solide et courageuse, c’était une maîtresse-femme au grand coeur, heureuse et fière de nous voir grandir et d’avoir participé largement à notre éducation ; elle était « notre reine paysanne » !

Dans sa vieillesse, une de ses grandes joies fut « le droit de vote des femmes » en 1945 ! Elle a voté pour la première et seule fois de sa vie cette année-là !

…Et puis, notre grand-mère est partie en avril 1946, le lundi de Pâques ; notre grand-mère en robe noire du dimanche, sa mantille noire sur la tête… Nous avons eu un grand chagrin et pour la première fois, j’ai vu pleurer papa. Mais le printemps était là, les lilas, les iris, les narcisses fleurissaient et la lumière du soleil filtrait délicatement à travers les vitres de sa chambre.

Novembre 2012 – Fragments -Marité G.

Maman Tavie (800x604)

 

2 Commentaires

  • Pezennec Denise

    Là où elle est, quel bonheur aurait votre maman Tavie à découvrir le portrait que vous en faites, l’amour et l’émotion que vous éprouvez toujours pour elle! Vous faites revivre en moi des souvenirs du même type et je retrouve des recettes que j’ai connues par ma maman: la « crapaudine »(fines rondelles de pomme de terre et gruyère émincé-non râpé-en couches successives, un délice quand la croûte du fond est bien grillée.. C’est bien cela?), les œufs meurette, le gâteau de savoie…Une femme comme on a l’impression qu’il n’y en a plus tant leur vie avait été dure et ce qu’elle donnait ÉNORME. Beau portrait ,Marité.

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  • Marie-thérèse Gelin

    Oui, Denise ! c’est la même crapaudine ! Je l’ai vue cuire dans un chaudron de fonte suspendu à la crémaillère dans la cheminée ; quant à la croûte du fond, un régal ! il fallait le partager entre parents et enfants sans oublier maman Tavie.D’ailleurs , c’était elle qui était servie la première par mon père ! Des rites …

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