Le Poisson rouge
« Intérieur, bocal au poisson rouge » est mon tableau préféré de Matisse. Le bocal est posé sur un haut tabouret, près d’une fenêtre. Derrière, on aperçoit les volutes du balcon et, plus loin, dans la lumière, la Seine avec des escaliers y conduisant.
Mais je vais trop vite, il y a d’abord l’intérieur de la pièce, une chaude pénombre avec des coussins et des murs aux délicats tons de bleus, et ensuite seulement il y a l’éclair du poisson, qui vous conduit dehors, jusqu’à la Seine. C’est une clé. Sans lui, tout serait figé à jamais, on se laisserait aller à la torpeur d’un après-midi. Mais il y a ce furtif coup de queue orange qui vous émoustille la pupille et vous insuffle l’élan, celui de plonger dans l’eau froide du fleuve, ou bien de suivre cet escalier. C’est comme ça. Je me suis souvent demandé si le désir du poisson rouge de fuir son bocal faisait partie du jeu. Mais la Seine, est-ce bien une place pour un poisson rouge ? Ca m’étonnerait. Comme ça, l’eau semble bleue et attirante mais c’est un reflet du ciel ; sous la surface il est quasiment certain qu’elle est boueuse et pleine de détritus. C’est bon pour les vieilles carpes et les hotus au goût de vase. Il est bien mieux là, le poisson, tranquille, à la lisière de l’ombre et du soleil, du dedans et du dehors, du silence et du bruit. Il est bien mieux là à nous émerveiller de son désir d’ailleurs.
21 janvier 2014 – Textes courts – Jean marie Tremblay
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