Reconstitution.

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06 / 07 / 2012
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Reconstitution.

Dans le coffre-fort ouvert, quelques objets hétéroclites, vingt cinq mille euros, les photographies d’une femme et de quelques enfants, un livre, l’Hôtel de la Solitude de René Laporte.

Seuls indices pour permettre à l’inspecteur Larouille de reconstituer le profil et le déroulé de l’existence de leur propriétaire, dont le cadavre pendu au milieu de la chambre porte autour du cou les mots suivants : « Mourir n’est pas scandale. Seul vivre est une tragédie ».

 Les objets sont :

Un mousqueton d’alpinisme tordu et ouvert.

Un sablier en verre de Murano, un côté pailleté d’or et l’autre de plomb

Un crucifix recto-verso

Une scie à amputer pour gaucher

Un bouchon de whisky de la marque Bunnahabhain

 Vous devez ajouter un objet de votre choix à l’inventaire du coffre .

Rédigez le rapport de l’inspecteur Larouille.

 Devant tout ce beau petit bordel sortant du coffre, l’inspecteur Larouille épongea la sueur de son front et, déconcerté, se mit à penser.

Il n’avait pas intérêt, sur ce coup là, à se planter, et devait, dans son rapport, faire montre de toute sa science, sauf à encourir une nouvelle fois les foudres du Commissaire Desgrippe, et à dérouiller d’une bonne engueulade, comme d’habitude !

Cherchant à démêler l’écheveau de ces indices de bric et de broc, il fut traversé soudain d’ un éclair de génie.

Bien sûr, Monsieur Cuberauplomb était antiquaire, antiquaire de père en fils depuis trois générations et bien connu sur la place de Limoges.

Son sens des affaires, en dépit de son jeune âge, avait fait prospérer rapidement l’entreprise. Il faisait la fierté de son père, qui voyait en lui son digne successeur.

Il avait toujours eu la folie des grandeurs.

Sa devise était : « suivre sa voie, toujours plus loin, toujours plus haut ! Mourir n’est pas scandale, seul vivre est une tragédie… »

Outre la passion des vieilles choses et des objets d’art, il avait aussi celle de l’alpinisme à ses heures creuses et avait tenté en solitaire l’Ascension du Pico Alto où il avait fait une chute de 10 mètres et manqué d’y laisser sa peau, à cause de ce foutu mousqueton que vous voyez là, tordu et ouvert.

Il vivait dangereusement. C’était un aventurier qui avait des fourmis dans les pieds dès qu’il se posait sur une chaise.

Pour se remettre de sa déception, il tenta d’escalader la façade Nord de l’immeuble de treize étages où il résidait avant que n’ait fini de couler la petite quantité de sable contenu dans le précieux sablier en verre de Murano, pailleté d’or d’un côté et serti de plomb de l’autre, que lui avait offert sa marraine le jour de sa première communion et qui se trouvait là aussi dans le coffre-fort, comme une relique de ses prétendus exploits.

Il croyait en sa bonne étoile. Un tantinet superstitieux tout de même, il ne se lançait jamais dans un nouveau défit sans un crucifix double face, recto en bois, verso en fer.

« Croix de bois, croix de fer, disait-il, si je dévisse, je vais en enfer ! »

Il avait coutume de trimballer avec lui dans son sac à dos une scie à amputer pour gaucher dont il réservait l’usage approprié, en cas de besoin, disait-il, à qui de droit.

Il adorait partir en solitaire, et, dans ses raids, il achevait volontiers ses longues nuits à l’Hôtel de la Solitude, en compagnie de René Laporte et exorcisait ses peurs avec moult absorption de whisky, toujours de la marque Bunnahabhain, dont il collectionnait religieusement les bouchons pour en perpétuer le culte.

Et puis, il ne vous aura pas échappé qu’il y avait aussi dans le coffre cet objet, d’un raffinement inouï, je veux dire ce magnifique pot de chambre en porcelaine, fleuri de chocolat fondu et biscuits détrempés.

Et c’est bien là l’objet du délit qui justement nous intéresse.

Lui, le vaillant, l’intrépide, le casse-cou, libre penseur et libre solitaire, s’engagea un jour dans une aventure inédite, par la rencontre fortuite de cette belle femme que vous voyez là sur la photo, et, lui que rien n’atteignait vraiment en profondeur se trouva ce jour là terrassé par un terrible coup de foudre !

Leur amour atteint des cimes, avant de l’entraîner dans l’abîme …

Elle était dans l’aisance, disait-on, avait quelque bons fonds, et trois enfants…

Quand il annonça son mariage à sa famille, il sentit la désapprobation totale de son père qui lui dit : « Mon fils, que fais-tu là ? Tu te mets la corde au cou, je ne m’en remettrai pas ! », et il s’écroula tout de go, anéanti par la nouvelle.

On retrouva M. Cuberauplomb le lendemain de sa nuit de noces, pendu au milieu de la chambre, avec pour seule explication, ces mots, écrits de sa propre main : «  seul vivre est une tragédie.» 

19 juin 2012 – Textes courts – Louis Mancy

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