Les Blanches transparentes
Elles ont le goût du bonheur, la saveur d’une fin d’été soleil, le galbe pulpeux et clair d’une poitrine blanche, et par-dessus tout, cet incomparable parfum…
Touchant du doigt le souvenir de leur peau sucrée, je m’enivre, pars en voyage…
J’avais cinq ans, dix ans peut-être, l’âge où l’on commence à mettre des noms sur les choses, l’âge où l’on commence à voir des choses sans nom…
Je revois cette terre rouge lie de vin, elle s’appelait « En Rougin », le chemin d’accès sinueux sous le bois d’acacias, la grande vigne en haut, l’allée en son milieu, deux énormes tas de pierres, la petite baraque et le puits, la pompe qui faisait cri-cri quand on lui prenait la main…
Je revois des odeurs, les grands arbres fruitiers, la musique des branches que chahutait le vent…
Je revois des couleurs, une enfance bonheur qui riait en courant, égrenant ses senteurs aux quatre coins du champ…
Je sens l’herbe mouillée, le parfum des regains, et le temps des vacances qui mûrit lentement,..
J’entends leurs noms chantant nourrir mes oreilles et fondre sous ma langue, Comtesse de Paris, William, Alexandrie, Duchesse, Louise Bonne…
Api, la rose et bonne, Boskoop et Astrakan ; Reinette de Baumann et la rouge Calville, la grise Canada, et, dans le bas du verger, soleils d’or en août, je revois l’emplacement, leur parfum musqué et puissant ouvrant le bal des pommes,, les blanches Transparentes de Croncels…
Je revois mon père un jour par un tas de sciure intrigué, enfoncer dans le tronc un long fil de fer et tourner et tourner…
Il y avait là, bien au chaud, quelque insecte, une sorte de ver, opérant sa saignée, mettant l’arbre en danger…
Il y avait mon père, attentif et soigneux, qui, ce jour là, l’avait sauvé…
Il y avait mes rires, des fleurs dans l’herbe folle et tous mes jeux d’enfant…
Il y avait comme un grand livre ouvert, pages blanches à écrire, soleil et transparence,
Il y avait l’odeur, rassurante et plénière, des blanches Transparentes…
06 septembre 2011 – Textes courts – Louis Mancy