De mémoire de cocher

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05 / 07 / 2012
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Consigne : Le voyageur qui est descendu dans l’hôtel, ce 13 mai 1907, aura laissé des souvenirs effrayants.

Au cocher qui lui fit traverser le plateau par la route de Grandrieu.

Au personnel de l’hôtel qui eut commerce avec lui : Jeanne la servante qui se jeta dans un puits le dimanche suivant et Louis le factotum dont la raison s’envola comme feuillage d’automne, dans le courant du mois de juin.

Aux chevaux, que plus personne ne put atteler ensuite et qui finirent cuisinés avec des haricots rouges.

A la diligence même, dont l’essieu principal rompit sur le retour.

Au troupeau de vaches qui s’enfuit et court encore quand il descendit face à leur pacage à la Croix de l’Abbesse.

Enfin, à la bête immense et maigre qui hurla longtemps, le museau dressé, quand il monta à sa rencontre, vers le Bois des Châlits.

 Décrivez cet étonnant personnage, racontez un moment de son voyage.

 Vous êtes, selon le bon vouloir du tirage au sort, le voyageur inquiétant, la patronne de l’auberge, un autre voyageur qui dîna dans la même pièce, un cheval, le cocher, Louis, Jeanne, la diligence, le petit pâtre de la Croix de l’Abbesse qui le vit descendre de la diligence et gravir le sentier de la forêt, et la bête hurlante et efflanquée.

 De mémoire de cocher…

Depuis cet innommable jour du 13 mai 1907, dans toute la région, on n’entendit plus parler que de ça, et on en vint aussitôt à penser, puis à dire que ce qui arriva ce jour là ne devait rien au hasard du calendrier, et qu’en cette contrée sauvage, reculée et sombre, c’était bien là manifestation évidente des innombrables maléfices du nombre treize.

Depuis cette date, d’ailleurs, dans tous les hôtels du pays, de France et de Navarre, plus aucune chambre ne porte le numéro treize.

Qu’un tel cauchemar ne se répète pas deux fois !

 Je connaissais bien le chemin, étant natif du plateau, et, pour peu carrossable qu’il fût, je l’avais emprunté des centaines de fois sans encombre depuis que j’assurais la liaison postale entre la vallée et le village haut perché de Heurtebise, en longeant la combe de Troudeballe par le plateau de Grandrieu.

J’assurais aussi occasionnellement le transport de voyageurs dont la diligence était le seul moyen en ces lieux de se rendre commodément d’un endroit à l’autre du pays.

 Ce jour là, en donnant à boire aux chevaux, et à leur fébrilité inhabituelle, j’eus comme un mauvais pressentiment.

Me retournant, je vis fondre sur moi un homme grand et maigre, froid comme la mort, pardessus noir et haut de forme, une imposante mallette à la main.

-Hé là ! l’cocher, on peut dire que tu tombes à pic ! scelle tes ch’vaux, et qu’ça saute !

Je dois être à Cudessac dans moins d’une heure, pour une affaire de la plus haute importance.

Ne discute pas, ton prix sera le mien !

 Je n’avais pas l’habitude de me presser.

Encore moins les chevaux qui avaient toujours plein d’anecdotes, toutes plus haletantes les unes que les autres, à se mettre sous la dent, avant de prendre le harnais…

Faisant contre mauvaise fortune bon coche, je m’exécutai, tant mal que bien, plutôt à reculons, mais sans prendre la mouche.

L’homme jeta sa valise dans la diligence et imposa de prendre place à mon coté, pour mieux, dit-il, apprécier le paysage.

Il n’eut d’autres mots pendant tout le trajet que pour mieux me haranguer et me tancer d’aller plus vite. Qui donc lui avait flanqué cette limace de cocher ? Il n’arriverait jamais à temps, on entendrait parler de lui sous peu, il allait m’en cuire bientôt !

 Malgré moi et sous sa pression croissante, je sollicitais insensiblement plus les chevaux, qui, arrivant en nage au passage de Grandrieu, s’emballèrent d’un coup en traversant la rivière et nous inondèrent joyeusement.

Trempé de haut en bas, l’homme en haut de forme m’invectiva copieusement, vociférant par tous les noms d’oiseaux, hurlant après moi que j’étais sûrement tombé de la dernière pluie, et j’allais bientôt voir de quel bois il se chauffait…

Les chevaux effrayés firent un écart, dans un hennissement effréné prolongé, la diligence se mit à danser, à tanguer si fort que notre homme, transi de peur, se retrouva au premier tournant, sans ménagement, éjecté à terre, manquant de peu d’être écrasé par les roues du carrosse en goguette.

Je ne vous dis pas la suite !…

01 février 2011 – Nouvelles- Louis Mancy

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