L’Olympe des infortunes
Si je vous dis MOHAMED MOULESSEHOUL. vous serez probablement très étonnés et vous vous croirez très ignorants mais un officier supérieur de l’armée algérienne pouvait -il écrire et témoigner de ce que vivait et avait vécu son pays pendant la guerre avec la France autrement que sous un pseudonyme ?
YASMINA KHADRA, puisqu’il s’agit de lui est devenu un écrivain de grand renom sous ce double prénom féminin qui lui a été reproché par certains. Il a commencé à écrire des romans policiers comme supports de ses témoignages sur son Algérie natale, créant un personnage de policier qui traque la corruption installée dans l’Algérie nouvelle , fière de sa liberté acquise au prix de luttes,douleurs, atrocités de toutes sortes et plongée dans la guerre civile depuis :son commissaire LLOB est un témoin sans condescendance, libre et décidé à agir pour que cesse la chasse aux intellectuels, aux écrivains et autres artistes, les exactions conduites par des chefs politiques véreux, violents et sans scrupules. Les enquêtes qu’il est amené à approfondir lui permettent de nous faire pénétrer dans un passé récent sans en ménager les acteurs quels qu’ils soient..Parmi ces polars « prétextes »,je citerai plus particulièrement MORITURI , DOUBLE BLANC et surtout LA PART DU MORT dans lequel l’écriture se libère de son caractère « polar » pour devenir cette superbe plume que l’on va trouver dans L’ÉCRIVAIN (autobiographie), dans la fameuse trilogie L’ATTENTAT , LES HIRONDELLES DE KABOUL , LES SIRÈNES DE BAGDAG consacrée au « dialogue de sourds » qui oppose Orient et Occident. Et , récemment (2011) dans L’ÉQUATION AFRICAINE ouverte sur une actualité brûlante, les prises d’ otages en mer vers les côtes de Somalie .et toute l’ambiguïté des rôles kidnappeurs / otages .
Un roman de YASMINA KHADRA récent ( 2010 )
L’OLYMPE DES INFORTUNES
Coincé entre une décharge et la Méditerranée, entre la jetée et la route qui mène à la ville, un terrain vague et ses abris de fortune. Là vivent des HORR, des marginaux que la ville a brisés , des êtres qui sont dans leur tête comme des dieux déchus. Junior le Simplet est attiré par la ville mais sur lui veille ACH le borgne avec toute la tendresse dont il est capable, chantant et jouant du banjo pour le réconforter. Non loin d’eux de l’autre côté de la dune règne LE PACHA sur sa bande d’ivrognes éclopés, Haroun le sourd , Clovis, Le Négus, les frères Zoum, deux autistes, Dib l’échalas, Aït Cetara, Einstein qui tue les animaux en voulant faire sur eux des essais de ses » vaccins », Mama et son ivrogne de mari, Mimosa son ridicule amant, Bliss et sa chienne.., tous les clodos de passage et Pipo qui partage la couche du Pacha .
Dans cette assemblée de paumés, de mal-foutus, de bousillés par la vie. on voit se tisser tous les liens qui régissent la vie habituelle des « normaux », se constituer tous les degrés d’une hiérarchie où chacun joue son rôle âprement. Les sentiments y sont exacerbés mais profonds et vrais, émouvants, qu’il s’agisse de haine ou de tendresse, d’amour ou de jalousie, de confrontation avec la violence ou la mort immonde.
L’arrivée inopinée d’une sorte d’humain surnaturel , un autre Jésus en quelque sorte, dans leur monde où tout semble réglé définitivement va provoquer une remise en cause des pensées, des convictions et c’est le couple ACH le borgne /JUNIOR le simplet qui va en être le plus touché.
A quel moment l’égoïsme et le plaisir de manipuler plus faible que soi se substituent-ils à la tendresse désintéressée, à la volonté de venir en aide à autrui ?Prendre conscience de sa culpabilité est-ce entrer sur la voie de la rédemption ?Où commence et finit la notion de liberté chez l’être humain même réduit à l’état de Horr ? Que vont devenir ces deux hommes si proches l’un de l’autre ? Que réserve l’avenir à Junior le simplet et à Auch son protecteur fidèle ?
Dans une langue riche et très évocatrice YASMINA KHADRA fait vivre une aventure originale, inattendue, une sorte de conte philosophique qui ne peut laisser indifférent.
A VOS LIVRES
Denise PEZENNEC