Un beau salaud… (Laure)

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16 / 02 / 2012
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Un beau salaud…

Il me semble que je l’ai toujours connu mais il a en fait emménagé dans le village quand nous étions en CM2.

Dés le mois de novembre, se moquer de lui était devenu le jeu incontournable de nos récréations. Il essayait de se cacher, allait s’enfermer dans les toilettes, s’asseyait dans le coin le plus désert de la cour, dernière le plus gros pilier, mais il y avait toujours un garçon plus déterminé que les autres pour aller le débusquer. Il faut dire qu’il ne passait pas inaperçu. Ce qu’on remarquait en premier chez lui, c’était une paire d’oreilles tellement décollées qu’on les aurait cru fausses. A cette époque ses dents de travers donnaient à son sourire air étrangement décalé et il avait toujours sur le visage un sourire forcé qui semblait nous narguer. Quand je me souviens de lui à cette époque, je le revois enrhumé et reniflant à longueur de journée quand ce n’est pas essuyant son nez coulant sur la manche de son pull décoloré. Bien sur, j’ai fait comme les autres, je l’ai appelé Dumbo en lui tournant autour. Notre blague préférée était de lui demander à quel âge sa trompe allait enfin pousser. Je ne me posais pas de questions, je trouvais même notre petit rituel amusant : on se moquait, il se cachait et quand on le trouvait, il faisait le fier, le dur jusqu’à ce qu’on le laisse tranquille et qu’il retourne se cacher.

 Mais un jour, ma mère est venue me chercher en retard. J’attendais seule devant la grille de l’école quand je l’ai vu sortir du vestiaire, seul aussi. Il avait les yeux rouges et je lui ai machinalement demandé ce qui ce passait. Il s’est aussitôt mis à pleurer. Je n’avais jamais entendu quelqu’un pleurer ainsi. C’était de la douleur d’un bloc, un raz de marée et j’ai ressenti d’un coup la souffrance qu’il éprouvait, j’ai compris comme ce devait être dur de lutter chaque jour contre les moqueries, d’être mis de côté et ne n’avoir jamais personne à qui parler. Je me suis sentie mal à l’aise, gênée, je me suis sentie rougir, envahie par la honte. C’est mon premier souvenir de culpabilité. Il m’a tellement marqué qu’en y repensant même encore maintenant, je me sens presque aussi triste que ce jour là.

A partir de ce jour, il devint mon ami. Après quelques hésitations, mes copines ont accepté de jouer avec nous et l’on trouvé sympa, avec beaucoup d’humour et l’année s’est passée. Le collège nous a séparés et je ne l’ai retrouvé qu’en seconde.

Il avait toujours les mêmes oreilles et si un appareil lui avait en partie redressé les dents, sa peau était devenue un vrai champ de bataille. J’avais vraiment du mal à le regarder. Il me semblait qu’à trop le voir sourire, j’allais voir éclater les boutons qui se trouvaient sur ses joues. Il avait trois poils au-dessus de la lèvre ce qui n’améliorait pas vraiment le tableau. Cela mis à part, nous nous revîmes avec plaisir, il avait travaillé son humour et trouvait toujours un mot pour me faire rire. Il jouait de la guitare et nous prîmes l’habitude de composer ensemble : moi les paroles, lui la musique. Il me parlait souvent avec une légèreté que je sentais forcée de ses difficultés à trouver une copine. Ça me faisait de la peine. Je sentais bien qu’il voulait me faire passer un message mais vraiment je ne pouvais m’imaginer l’embrasser. Même si je l’aimais beaucoup, c’était au dessus de mes forces…et puis lors d’une soirée, nous discutions dans la pénombre en partageant un verre et j’ai vu une larme juste au coin de son œil. Mon cœur s’est serré et quand il m’a pris la main, je l’ai laissé faire.

J’ai supporté pendant deux longues années les remarques moqueuses de mes super copines. J’ai été partagée entre le désir de rompre qui revenait sans cesse et la puis sa gentillesse et la peine qu’il aurait.

Petit à petit, l’acné s’est estompée, il a pu se raser, il a fini par porter les cheveux sur les épaules, ce qui cachait à peu près ses oreilles, tout en lui donnant un air romantique. Il s’est mis à faire de l’aviron et de la course à pied. Il avait gardé des moqueries de l’enfance une humilité et un désir de plaire qui le rendaient charmant.

 La veille de passer mon oral de bac, alors qu’il avait promis de m’aider à réviser, je l’ai vu passer, un mètre quatre-vingt-dix, les épaules larges, souriant et bronzé. Il se penchait pour embrasser la fille que je détestais le plus dans ce lycée. Evidement, elle était blonde, évidemment, elle était mince, évidemment, elle avait des gros seins.

 Il n’a pas paru gêné de me voir, ce beau salaud, il m’a fait un signe de la main et m’a simplement dit : « Bonne chance pour demain ».

31 janvier 2012 – Nouvelles – Laure Timon

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