Peau de bête.

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16 / 02 / 2012
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C’était un dimanche après-midi pluvieux et il se préparait mollement à aller prendre sa place sur le long canapé en simili cuir noir du salon, quand Valérie s’approcha de lui, l’air désespéré :

  • « Ce temps pourri me déprime, s’il te plaît, sortons ».

Ils étaient mariés depuis presque cinq ans et il sentait bien que depuis quelques mois, la passion peu à peu diminuait. De son côté, il en était assez satisfait. Il appréciait toujours les efforts de Valérie pour lui préparer de bons petits plats et il savait qu’il pouvait compter sur elle pour sortir le chien et dépoussiérer régulièrement sa collection de voitures miniatures et de leur période d’amour fou, et de ses étreintes bi-hebdomadaires, il gardait un souvenir épuisant et vaguement dégoûté.

Après un bon cassoulet comme celui qu’ils venaient de partager, il aimait particulièrement s’assoupir devant la télévision. Il faillit le lui rappeler mais il lut dans les yeux de sa femme tant d’espoir mais aussi tant de reproches recuits qu’il prit peur et dit :

  • « d’accord, si on trouve quelque chose de sympa à faire ; passe-moi le journal. »

Il avait bon espoir que Valérie renonce à son projet, elle avait à choisir entre un loto, une foire aux graines et un concours de belote.

Il prit un air déçu pour lui dire :

  • « Tu sais, il n’y a pas grand-chose ce weekend. »

Mais elle lisait derrière son épaule et pointait déjà le doigt sur un petit article tout en haut de la page 4.

  • « Regarde, ce sont les portes ouvertes chez Emmaüs ».

Il crut qu’elle plaisantait mais elle avait l’air sérieuse et même assez enthousiaste.

Voilà comment il s’était retrouvé dans une pièce sentant le renfermé et l’antimite à essayer d’éviter de mettre de la poussière sur son blaser bleu-marine tout neuf. Il avait déjà refusé d’acheter un service en « porcelaine » qui ne passait pas au lave-vaisselle, interdit à sa femme d’acheter des sous-vêtements qu’elle trouvait délicieusement rétro mais dont il ne voulait pas imaginer qui les avait déjà portés. Elle était partie, un peu fâchée, dans le rayon électroménager et il se préparait à céder sur l’achat d’au moins une vieillerie : une yaourtière peut-être… si elle ne dépassait pas les 10 euros.

Il cherchait à apercevoir Valérie au fond de la pièce, en se demandant s »ils seraient rentrés pour le début du match de Rugby quand son regard fut attiré par une vielle peau d’ours jaunie, fixée au mur au dessus d’une étagère à chaussures.

Il s’arrêta net. Cette peau de bête l’appelait, le fascinait. Devant lui, sur cette peau, deux corps nus s’enlaçaient langoureusement, se caressaient, s’embrassaient. Leur étreinte avait une intensité qu’il n’avait jamais connue et il sentit malgré lui son pouls s’accélérer et son visage rougir. Il baissa un instant les yeux pour se donner une contenance. Quand il les releva, le couple avait disparu, une femme brune se tenait alanguie sur la peau. Son visage aussi rose que l’intérieur de ses cuisses irradiait de bonheur et il pouvait deviner son amant à genoux à côté d’elle lui tendant une coupe de champagne. Il ne comprenait pas pourquoi son imagination s’emballait à ce point. Cette peau l’inspirait, il se sentait complètement excité, malgré le lieu, l’odeur et la pluie qu’on entendait maintenant battre sur le toit. Il voulu rejoindre Valérie et se retourna une dernière fois. C’était elle qui se trouvait maintenant sur la peau, sauvage, fougueuse et avide comme il ne l’avait jamais vue. Il se jeta sur un vendeur, acheta la peau sans la négocier, malgré les trous et les bouloches et se précipita sur sa femme. Elle ne comprit pas son désir soudain de rentrer mais il lui laissa acheter une relique style année trente qu’elle avait dans les mains, lui promit la plus belle surprise de sa vie, ce qui  la décida à se laisser reconduire.

Quand Valérie le vit dérouler cette peau d’ours devant la télévision, elle protesta mais devant la détermination de son mari, elle consentit à s’y allonger. La télé qu’ils avaient allumée machinalement en entrant ne réussit pas à couvrir leurs cris passionnés et étonnés.

Depuis, la poussière s’accumule sur les petites voitures de Thierry ; la télé a rendu l’âme sans qu’ils aient songé à la remplacer et la peau de bête au milieu du salon continue à inspirer Thierry, inlassablement, sans qu’il n’ait jamais osé parler à Valérie de ses visions fugitives.

06 décembre 2011 – Nouvelles – Laure Timon

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