Ils étaient cinq, aux carrures terribles…

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24 / 11 / 2011
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Consigne n°3 : choisissez le thème de votre nouvelle 45 mn

 Ils étaient cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer.

ou bien :

Elle s’était perchée à l’extrême bout du comptoir, ses jambes nues repliées sur le tabouret, dans l’ angle d’où le miroir renvoyait, suivant l’angle de vue, la porte d’entrée du bistrot, par où il entrait, le flipper, qu’il viendrait provoquer, et quand elle le souhaiterait, son propre visage, brutalement maquillé, encadré par la filasse terne de ses cheveux.

Incorporer à votre récit les phrases suivantes :

 

  1. Les bernaches volent en zigzag, c’est vent de terre !

  2. Les amours de la tante agitaient la paroisse, et jusqu’au couvent qui fermentait sur son piton.

  3. Quand la langue chargée de régler les additions bafouille l’humanité avec des mots qui penchent.

Ils étaient cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer. Il fallait les voir avec leur visage buriné creusé par le sel et le vent. Leur bouche, pour certains, édentée lançait des injures à qui se frottait trop à l’un d’eux.

C’était tard et l’alcool commençait à échauffer les esprits. Jean-Louis, le patron, savait qu’il fallait calmer le jeu avant que cela ne dégénère. Pour faire diversion, il dit, tout à fait hors à propos : « regardez, les bernaches volent en zigzag, c’est vent de terre ! ». Les têtes se retournèrent, les yeux un peu embrumés cherchèrent au loin, puis revinrent sur le comptoir accompagnés de rires tonitruants. L’orage était passé.

C’est que ces cinq là, chacun les connaissait et les craignait ou les admirait. Ils étaient du pays. Ils avaient grandis et fait les quatre cents coups ensemble. Ils étaient comme les cinq doigts de la main. Lorsqu’ils étaient devenus des jeunes hommes, ils avaient partagé les mêmes femmes et les mêmes galères. Il arrivait quelque chose à l’un, les autres étaient touchés, compatissaient et se relevaient ensemble, toujours ensemble. C’était beau cette amitié virile ; pas d’épanchement mais une présence solide que rien n’ébranlait.

Un jour pourtant, l’un d’entre eux s’était laissé attraper pour ne pas dire happer par les affres de l’amour. Elle était belle avec ses grands yeux verts et paraissait fragile. Les autres n’avaient rien pu faire, pas de lutte possible. Ils se sont sentis amputés. La vie a continué tout de même, sans grands attraits. Il y avait bien eu les amours de la tante de Jean-Louis qui avaient agité la paroisse et jusqu’au couvent qui avait fermenté sur son piton. Cela avait fait sourire et alimenté quelques conversations, puis très vite leur discussion était revenue sur leur ami qu’ils ne voyaient plus et qui se faisait plumer par la belle étrangère.

Personne ne le reconnaissait. Il évitait chacun. Parfois, on le voyait en ville habillé comme un dandy au bras de sa belle. S’en était risible, ses amis en avaient mal pour lui.

Cela avait duré quelque temps, jusqu’au jour où la belle avait jeté son dévolu sur un autre. Et là, ça avait été la descente aux enfers pour leur ami. Il ne sortait plus de chez lui et les rares fois, il se trainait lamentablement jusqu’à l’autre bistrot. Il n’osait revenir chez Jean-Louis où il savait que ses amis l’y attendaient. C’était trop dur pour lui.

Un soir, la belle aux yeux verts et son nouveau compagnon étaient venus le narguer. Il était accoudé au comptoir, l’œil glauque. Le type de la belle l’avait interpelé :

– « Alors beau gosse, t’as l’air un peu paumé, elle te manque hein ?! Tu croyais peut-être que ça allait durer toute la vie, non ? Tu… »

Il n’avait pas eu le temps de terminer sa phrase que l’autre lui avait décoché un coup de poing en plein milieu de la figure et avait continué. Toute sa rage sortait, il ne contrôlait plus rien. Le type était à terre, le sang giclait mais ça ne l’arrêtait pas. Il l’aurait laissé pour mort si trois hommes n’étaient pas intervenus. Puis il avait repris ses esprits, il avait regardé le type à terre, la belle agenouillée qui pleurait sur lui. Cela ne le touchait plus. C’était fini, toute sa rancœur était partie avec les coups, il se sentait libéré. Il était resté au comptoir jusqu’à ce que les policiers viennent le chercher.

Le type était très mal en point, mais en vie. Lui, allait être enfermé et jugé. Ça lui était égal, il se sentait redevenir lui-même. Il pensait à ces quatre amis et une douce chaleur l’envahi… il s’était laissé emmener tranquillement jusqu’à sa cellule, sans résistance aucune.

Deux jours après, il avait eu la visite de ses amis. Il aurait voulu leur direcombien il regrettait, maisquand la langue chargée de régler les additions bafouille l’humanité avec des mots qui penchent, il vaut mieux se taire. Avec eux, nul besoin de mots, le regard et les accolades en disaient plus long…

Enfin ils se retrouvaient !

Il y avait eu le procès avec leur témoignage qui avait touché les jurés et pesé dans la balance pour une peine moins lourde. Il avait pris deux mois. Le type et la belle avaient quitté le pays. Tout était redevenu comme avant et ils étaient aujourd’hui tousles cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer. 

26 avril 2011 – nouvelles & ludotextes – Betty Lefebvre 

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