l’objet

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11 / 11 / 2011
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Consigne :L’objet que vous avez trouvé par tirage au sort (une grenade) appartenait à quelqu’un. C’est l’objet auquel cette personne tenait le plus au monde.

Racontez l’histoire de cet objet, du pourquoi de son importance pour son propriétaire et le comment de leur relation.

 

Je travaille dans une maison de retraite. Ici, on a la chance de pouvoir prendre du temps avec les pensionnaires et même parfois de s’attacher. J’aime regarder de vieilles photos avec les résidents, j’aime les entendre parler de lieux mystérieux, d’objets qu’ils semblent avoir inventés. Leurs mots parfois dérapent, s’empâtent, s’éteignent et il faut pouvoir les imaginer, les recréer à partir d’un son.

Quand j’ai vu arriver Mme Obrian, j’ai su en croisant son regard que j’allais aimer cette femme. Elle avait gardé de la malice dans les yeux et elle avait un sourire qui illuminait tellement son visage qu’on en oubliait ses rides. Je l’ai accompagné dans sa chambre et le premier objet qu’elle a sorti de son sac a été une grenade quadrillée armée. Plus rien ne m’étonne, je me suis habituée aux particularités des personnes âgées mais j’ai tout de même tiqué en apercevant cet objet. Je me suis promis de lui demander son histoire. Je m’imaginais un fiancé mort à la guerre, lui léguant cette grenade comme seul trésor, un père colonel dans les colonies, un fils collectionneur d’armes ou dangereux terroriste. Chaque fois que je voyais cette grenade posée sur la table de nuit, mon imagination s’emballait.

Elle la prenait parfois à la main, perdue dans ses pensées, la caressant presque puis la reposait comme apaisée avec un soupir de soulagement.

Jour après jour, je me suis attachée à cette femme. Je prenais 5 minutes avant de commencer mon travail pour lui dire bonjour, pour voir comment elle allait, j’ai pris l’habitude de passer la voir également avant de quitter mon service. Parfois elle semblait perdue dans son monde et je ne comprenais pas toutes ses phrases mais parfois elle me surprenait par la clarté de ses souvenirs. Un jour, au moment de partir, je l’ai vu avec sa grenade. Je me suis assise. Elle m’a regardé et elle m’a dit :

« Elle est armée, vous savez ? Si je la lâche, c’est fini »

Je n’ai pas voulu y croire, puis j’ai compris à son regard qu’elle disait vrai. J’ai paniqué en imaginant la grenade par terre. J’ai voulu la prendre mais elle m’a repoussé la main d’un geste sur.

« Vous savez, cet objet me permet de vivre depuis 50ans, c’est un objet de vie. N’ayez pas peur ».

Je me suis rassise et elle m’a raconté son histoire.

« A 30 ans, le désir de vivre m’a quitté, je continuais à vivre au prix d’une douleur immense. Chaque sortie me paralysait, la moindre rencontre me terrorisait. La vie me paraissait chaque jour plus difficile et le suicide me semblait la seule issue. Je me l’imaginais comme la fin de cette souffrance si têtue. J’en ai parlé autour de moi. Les réactions étaient toujours les mêmes : soit on ne m’écoutait pas en me disant des phrases toutes faites du style : -Tu exagères, demain, ça ira mieux, tu t’écoutes trop… », Soit c’était la panique. Personne ne voulait répondre à ma question : « Et si je ne pouvais plus continuer, est-ce que tu m’aiderais ? »

Un jour, je me suis pourtant retrouvée à attendre dans un abri bus à côté d’un jeune militaire. Bloqué par la neige, le bus n’arrivait pas et nous avons parlé. Je lui ai parlé de ma douleur, de l’aide que j’espérais. Il ne m’a pas paru choqué. Il a simplement sorti cette grenade de son sac, il l’a armé, me la donné en disant :

-« voilà, le jour où tu le souhaites, tu la jettes et c’est fini ». Puis, il s’est levé et il est parti. Je me suis retrouvée avec cette grenade et chaque fois que je la prenais, croyant que toute force de vie m’avait quittée, il me venait une bonne raison de la reposer, un rire, un rayon de soleil, une main sur une épaule. De jour en jour, d’année en année, cette grenade m’a accompagnée, chargée de toutes ces bonnes raisons. Il me suffit maintenant de la regarder pour retrouver la douceur de vivre. »

Je lui ai laissé sa grenade en partant ce soir là. Peu à peu ses forces l’ont quittées. Un jour, dans un regard, elle me l’a donnée. Le lendemain, elle était morte.

9 novembre 2010 – nouvelles- Laure Timon

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