Draguer Riri

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11 / 11 / 2011
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Consigne : Elle s’était perchée à l’extrême bout du comptoir, ses jambes nues repliées sur le tabouret, dans l’angle d’où le miroir renvoyait, suivant l’angle de vue, la porte d’entrée du bistrot, par où il entrerait, le flipper, qu’il viendrait provoquer, et quand elle le souhaiterait, son propre visage, brutalement maquillé, encadré par la filasse terne de ses cheveux.

Incorporer à votre récit les phrases suivantes :

  • Les bernacles volent en zigzag, c’est vent de terre.
  • Les amours de la tante agitaient la paroisse et jusqu’au couvent qui fermentait sur son piton.
  • Quand la langue chargée de régler les additions bafouille l’humanité avec des mots qui penchent.

 

Elle s’était perchée à l’extrême bout du comptoir, ses jambes nues repliées sur le tabouret, dans l’angle d’où le miroir renvoyait, suivant l’angle de vue, la porte d’entrée du bistrot, par où il entrerait, le flipper, qu’il viendrait provoquer, et quand elle le souhaiterait, son propre visage, brutalement maquillé, encadré par la filasse terne de ses cheveux.

Pour cela, il aurait suffi qu’elle se penche légèrement. C’était justement un geste qu’elle ne ferait pas, qu’elle ne voulait pas faire, surtout pas. Se voir dans cette tenue, à cet endroit, maquiller comme une pute c’est plus qu’elle n’en pourrait supporter. Elle avait déjà failli se sauver en entendant le patron glisser au vieux Maurice, après qu’elle eut fait quelques pas maladroits dans la salle, peu habituée qu’elle était à porter des talons hauts :

« Les bernacles volent en zigzag, c’est vent de terre. »

Et même si le mot bernacle ne lui était pas familier, elle avait bien senti à son regard qu’il lui était destiné et qu’il n’était pas bienveillant.

Quelle idée elle avait eu de se laisser entraîner à ce pari idiot. En y repensant, elle en avait les larmes aux yeux. Elle avait le sentiment de plus en plus fort de s’être fait avoir.

Elle ne se souvenait plus vraiment quand cela s’était passé et qui avait lancé cette idée qui leur avait paru géniale :

– La derrière à décrocher le permis va draguer Riri. C’était sûrement un samedi soir, la tequila-orange faisait déjà son effet et elles avaient toutes pleuré de rire en imaginant la scène. L’une avait imaginé l’endroit : le bar où il se rendait tous les jours ; une autre la tenue et elle enfin, ça devait bien être elle, il fallait bien le reconnaître, la façon dont il serait abordé : de l’audace, du sex-appeal, il fallait être irrésistible.

Ce samedi soir était bien loin. Les unes après les autres, elles avaient fêté leur permis, jusqu’à cette fameuse soirée où cette garce de Sonia avait rappelé :

Mais au fait, Sandra, tu es la seule à ne pas l’avoir, c’est à toi d’aller draguer Riri. Elle avait ri puis plus du tout quand elle avait compris, au silence moqueur du groupe, que tirées d’affaire, elles comptaient bien s’amuser un peu.

Voilà comment, elle se trouvait là, à attendre Riri.

Riri, 1.9m, 120 kg, le cheveu gras, jamais un sourire. Ils avaient été au lycée ensemble et elle ne se souvenait pas avoir entendu le son de sa voix. Il portait toujours les mêmes pantalons trop larges, toujours le même pull gris élimé et détendu.

Depuis le lycée, il s’était fait pousser une barbe brouillonne qui le rendait encore plus inaccessible. Sans savoir pourquoi, elle était sûre qu’il sentait mauvais et même s’il semblait plutôt calme et solitaire, elle l’imagine brutal.

Elle commençait à se sentir soulagée : 21h30, il ne viendrait plus.

C’était une chaude soirée d’été, l’air était moite et elle semblait destinée à s’aimer. Sur la banquette en skaï, deux amoureux s’embrassaient d’une façon qui lui semblait de plus en plus dérangeante. Les habitués chuchotaient, les amours de la tante agitaient la paroisse et jusqu’au couvent qui fermentait sur son piton à ce qu’on disait.

Il ouvrit la porte du bar et elle se sentit rougir. Il s’installa au flipper. Elle le regarda. Il avait posé son pull et elle pouvait voir malgré son marcel les muscles de son dos se contracter et un mince filet de sueur glisser le long de son cou.

Elle se sentit frissonner et ne voulut pas se demander pourquoi.

Pour se donner une contenance, elle commanda un jet 27 espérant ainsi calmer les battements de son cœur mais cette boisson la perturba encore davantage. Elle se rendit compte qu’elle ne pouvait plus bouger, la sueur de ses cuisses la scotchait au plastique du tabouret. Elle ne pouvait plus non plus détacher son regard des mouvements que faisait Henri. Elle regardait ses fesses. Elle ne le voulait pas et pourtant c’était ce qu’elle faisait, irrésistiblement, elle ne pouvait plus regarder ailleurs. Elle avait de plus en plus chaud et se demandait si les autres pouvaient la voir rougir. Elle du se retenir d’avancer la main vers ses fesse tentatrices. Elle n’avait jamais ressenti une chose pareille. Il lui semblait que le bar s’était évanouit. Elle se sentait seule, seule avec ce corps en mouvement qui l’hypnotisait, seule avec cette chaleur, seule avec son désir.

Après une lutte acharnée avec la machine, il se retourna enfin. Il la vit, plantant ses yeux dont elle n’aurait jamais pu se souvenir qu’ils puissent être si beaux, dans les siens. Ils n’eurent pas besoin de se parler, ils étaient avant les mots, avant ce moment quand la langue chargée de régler les additions bafouille l’humanité avec des mots qui penchent. Ils surent qu’ils allaient vivre la nuit la plus chaude de l’été.

26 avril 2011 – Ludotextes – Laure Timon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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