Bruno la marine

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05 / 09 / 2011
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Bruno, c’était comme un ami d’enfance. On ne se connaissait pas depuis très longtemps mais pourtant c’était comme si on s’était toujours connus. Il faut dire qu’on avait appris à se connaître pendant les longues heures de repérage . Il m’avait fait une grosse impression dès le début surtout parce qu’il ne payait pas de mine avec sa grosse moustache , les pieds toujours nus dans ses sandales, hiver comme été. Il avait l’air de ne pas s’énerver facilement et de réfléchir à toute allure, Bruno la marine, et ça foutait la confiance.

La première fois qu’on me l’a présenté c’était pour le casse de la Banque Pop. J’avais accepté de travailler avec lui. A l’époque on m’appelait Doudou la seringue. N’allez pas croire que je me défonçais. C’était plutôt en rapport avec mes talents de soigner les potes qui avaient reçu des mauvais coups dans des mauvais plans. Je n’avais pas mon pareil pour extirper une balle mal placée ou suturer un gars qui avait reçu un coup de surin. Le tout en douceur et c’était bien apprécié. Autant vous dire que je connaissais beaucoup de monde dans le milieu mais avec Bruno ce n’était pas pareil, nous c’était à la vie à la mort. Il savait mieux que quiconque si le plan était foireux et lorsqu’il fallait lâcher l’affaire. Mais une fois que c’était parti il étudiait toujours longuement le terrain , planqué dans son fourgon , se nourrissant seulement de pain d’épices qu’il fabriquait lui-même dans de grands moules à partir du miel de ses abeilles. « T’en veux la seringue ? » me disait-il toujours. « Allez, arrête de manger tes jambons- beurre, c’est pas bon pour ta santé » et nous engloutissions des pots entiers de miel d’acacia avec des litres de thé.

Bruno la marine , on l’avait appelé comme ça parce qu’il vivait dans une péniche. Ça lui servait de planque , il n’était jamais au même endroit avec sa Freycinet et jamais la Rousse n’aurait pensé perquisitionner une paisible péniche amarrée sur un quai herbeux du canal du Nivernais dans l’Yonne. C’était une trente huit mètres automoteur, une belle flamande dont il avait gardé la cabine avec sa timonerie marquise et aménagé la cale en bibliothèque . J’avais ouvert des yeux ronds comme des boules de loto quand il me l’avait fait visiter la première fois et que j’avais vu tous les bouquins alignés. La littérature c’était sa deuxième passion à Bruno , il paraît même qu’il avait écrit des bouquins mais que son éditeur n’avait jamais vu son visage et aurait été incapable de le reconnaître. Il avait aménagé des planques dans le puits aux chaines et le tabernacle et posé des ruches sur les plats-bords . Il était trop malin , trop intelligent , Bruno et les schmitt n’avaient jamais pu le coincer , il n’avait jamais fait de zonzon.

Moi ce n’était pas pareil, les condés m’avaient déjà serré une fois et j’avais compris la leçon , je m’étais rangé des voitures , je n’avais pas envie de retourner à la maison avec les perpèt’. J’avais acheté le petit resto de la rue de Fleurus pour la zabounette et on était plutôt heureux , là , tous les deux peinards. Ce jour-là Bruno débarque et après le boudin-purée , il recule sa chaise, siffle le reste de son beaujolpif et nous regarde avec un air bizarre , un peu pâle. Nous on ne dit rien, on attend , ça avait l’air plus sérieux que d’habitude . « Je vais me marier avec la belle Nadia ! » qu’il nous lâche. Et là devant notre mine éberluée, il nous explique qu’il est tombé amoureux fou et qu’il ne peut pas laisser passer cette occase d’être heureux .Que la vie lui offre une deuxième chance et que celle-là il ne peut pas la rater. Alors je lui dis : Bruno t’es jamais allé au placard , tu ne crois pas que le mariage c’est un peu te priver de ta liberté ? Si t’avais vu le sourire qu’il a eu quand il m’a répondu : «  ça dépend de la geôlière !  » Meilleurs voeux de bonheur Bruno la marine et Nadia.

28 mai 2011. Textes courts. Didier Laurens

 

 

 

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