Aujourd’hui je m’appelle Athanase Delvivo
Aujourd’hui je m’appelle Athanase Delvivo
Pulsion. Souffle dévastateur. Plaie brûlante de fièvre. Tornade qui m’emporte dans un vide abyssal. Sa présence m’emprisonne, m’agite et me brise dans cette salle dont les murs, couverts de miroirs aux reflets destructeurs, tournent, tournent toujours plus vite jusqu’à m’en donner la nausée. Cette pièce est comme une prison sans porte ni fenêtre. Des coups pleuvent. Le bruit de cette lutte infernale entre mes démons et moi-même résonne jusqu’au plus profond de ma cage thoracique. Le combat est vain et la terreur m’envahit. Le vacarme de ces cris qui m’assaillent, tente de se frayer un chemin hors de mon corps. Mais personne n’écoute. Soudain le silence se fait entendre, trop bruyant pour être supportable. Une goutte de sang, puis deux puis trois. Rien n’y fait il est toujours là. Alors je préfère m’éclipser. L’ivresse laisse place à une litanie apaisante qui, bien sûr, ne dure pas, et l’autre revient toujours plus écrasant et plus violent.
J’ai peur de mes pensées quand elles entrent dans un tourbillon incessant et obsédant. Mais ce que je crains encore plus c’est cette absence, ce vide, ce silence. Ce moment où je ne reconnais plus rien mais je n’en ai plus rien à faire. Cet instant où plus rien n’a d’importance car tout m’est égal. Une sorte de nihilisme exponentiel qui contamine et détruit chaque millimètre de vie. Tel le négatif d’une photo, ombre mais sans corps j’erre dans les méandres d’une réalité insaisissable. Aujourd’hui je m’appelle Athanase Delvivo.
J’inspire la fumée de ma dernière cigarette et je sors par la fenêtre.
Allongée dans l’herbe, les bras en croix derrière la tête, une douce mélodie de Schubert dans les oreilles, je regarde le ciel. Mais les murs de mon esprit sont encore trop présents. Quoi que je fasse, où que je sois, j’ai toujours ce sentiment paradoxal d’être légère et pesante à la fois. C’est à la fois cette impossibilité de s’accrocher, de s’ancrer dans le réel et en même temps cette sensation d’être de trop, de prendre trop de place. Alors je ferme les yeux. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Autour de moi, la rumeur se tait. Le monde semble beau, flou, calme, comme lorsqu’on ouvre les yeux sous l’eau. Je commence à respirer les embruns, le vent salé, à entendre le son du ressac, les cris des mouettes, à sentir le sable contre ma peau nue et une petite algue entre mes pieds. La mer est là, immense, sous mes yeux clos, l’horizon à perte de vue, infini. Le sentiment océanique me saisit, mélopée de l’apothéose. Je suis libre.
Assise sur un banc au milieu d’un parc à l’ombre d’un platane, entre un petit étang où les rayons du soleil viennent se réfléchir à sa surface bleue-verte et une large prairie où se balancent gaiement pissenlits et marguerites au rythme des rires qui fusent de toutes parts, j’observe les passants. Je me surprends à tenter d’imaginer leur vie. Dans cette nébuleuse de pensées, je cherche à scander des mots de trop pour atteindre un rien juste. Mais peut-être faut-il tout simplement arrêter d’essayer de construire quelque chose et se laisser porter par la sensation.
Mon regard se noie lentement dans les étoiles. Je me perds entre les constellations du sagittaire et du capricorne. Le temps se dilate. Je ne sais pas si les pulsions sont vraiment parties, peut-être qu’elles se sont juste endormies. Mais à l’heure où j’écris, l’été semble avoir tué l’automne, et cette fraction de vie est éclairée de milliers de feu follets incandescents.
Un pétale, deux, trois. La tempête est passée, la mer s’est apaisée et une belle journée peut commencer. Je reviens pas à pas au temps des cerisiers, lorsque le soleil trace des larmes d’or dans les cimes des arbres en fleurs. L’éternelle métempsychose de l’existence prend son envol.